Retrouvailles animées

Dès lors, que la sonnerie retentit, annonciatrice que le discours du professeur Langdon va s’achever, la mine de mon crayon frotte une dernière fois sur le papier blanc de mon calepin, une dernière danse entre les lignes pour réaliser les derniers symboles que nous venons d’aborder en cours de Biochimie. Intéressant dans le fond mais quelque peu complexe. Il va falloir que je relise attentivement mes notes pour être au point au prochain cours. Je referme vivement mon cahier, le glisse dans mon sac entre les bouquins de Biologie puis ramasse le reste de mes affaires qui traînaient sur la table. Après trois heures à étudier et analyser la structure moléculaire de l’ADN des chats, je finis par me lever, les jambes et les fesses engourdies à force de rester aussi longtemps assise, à ce pupitre, comme ces écoliers dans les petites classes de l’école primaire. Je me hâte de quitter la salle de classe, non pas que le cours ne m’intéressait guère, au contraire, tout ce qui touche à nos petits amis à poils me passionne au plus haut point, mais parce que ce matin je retrouve ma jolie Aelynn sur le campus.

Quand j’ai quitté Bâton-Rouge, mon seul regret a été de partir en laissant derrière moi la seule et unique amie que mon petit cœur chérit par-dessus tout. Imaginez la joie s’embrasser en moi lorsqu’elle m’a annoncé poser ses valises dans la cité des anges. Ma Aelynn ! Je marche assez rapidement dans les couloirs, mais mon nom ainsi que prénom résonnent brusquement dans le microphone. Hein ? Apparemment, je suis attendue à l’accueil du hall principal. J’en ignore la raison et je ferai mieux de me dépêcher car on me rappelle une nouvelle fois. J’effectue donc un petit détour. Finalement, c’était pour me remettre en main propre ma convocation de Stage à la Clinique de Venice, à remettre directement à mon employeur. Chouette ! Ils ont accepté de me prendre. Un élan de joie ma ravive aussitôt comme mon sourire venant subitement de poindre sur mes lèvres. J’ai hâte de pouvoir commencer !

Je fais soigneusement glisser la feuille dans mon sac et hâte le pas vers notre point de rendez-vous. A peine me suis-je extirpée du bâtiment que l’euphorie de ma meilleure amie se fait aisément remarquer par les jeunes étudiants qui passent par là.

Aelynette !!!! m’écriai-je tout aussi euphorique.

Nous accourons l’une à l’autre comme deux âmes sœurs qui se retrouvent après une éternité d’absence, comme ces couples dans les vieux films où on les voit fondre l’un sur l’autre au ralentit. On dirait deux gamines intenables. Nous partageons une tendre et amicale étreinte. J’en profite pour me délecter de son parfum, qui me rappelle les beaux souvenirs de Bâton-Rouge, mon chez-moi. Le bonheur de telles retrouvailles, de se dire que désormais, quoiqu’il arrive, la solitude n’est plus. Nous serons là, l’une pour l’autre et aussi inséparables que Tic et Tac.

Et moi dont ! Tellement heureuse de te voir ici ! A qui le dis-tu ? C’est toujours mieux de t’avoir en chair et en os, juste pour le plaisir de t’enquiquiner un peu en direct, dis-je en riant. Je fais glisser une main sur une mèche de ses cheveux sans me départir de mon sourire des plus heureux.

Alors, c’est officiel, tu t’installes sur le campus ? J’espère que ce n’est pas des cracs hein, parce que tu briserais mon pauvre petit cœur ! Je ris de plus bel avant de poursuivre, que dirais-tu d’un bon burger bien gras comme on les aime, avec des frites supplément cheddar pour rattraper le temps perdu et surtout parce que mon estomac me crie famine depuis plus d’une heure, demandai-je en prenant son bras, marchant à ses côtés, sur la grande allée pavée menant vers la sortie du campus.

Retrouvailles animées

Loin des parents, de la pression et de leurs exigences, plus près de Cordélia et réunie avec ma Aelynn chérie pour cette belle aventure sur le campus de l’UCLA, je n’aurais pas pu rêver mieux ! C’est comme si la liberté absolue m’était offerte sur un plateau d’argent, comme un bol d’air frais me permettant pour la première depuis bien longtemps de respirer à plein poumons. Vais-je enfin pouvoir être moi-même, sans personne pour me dicter quoi faire ? Même si ça doit faire seulement trois semaines qu’Aely et moi nous sommes dits au revoir, j’ai l’impression que ça fait une éternité. Nous échangeons une accolade des plus sincère. Ces retrouvailles me rendent si euphorique que je bombarde ma meilleure amie de mille et une questions, tant j’ai du mal à croire à sa présence ici et maintenant. La joie emplit chaleureusement mon petit cœur quand elle me confirme que ce n’est pas un rêve éveillé : elle s’installe bien sur le campus pour suivre son cursus universitaire. Pourtant, la tournure de sa phrase m’interpelle. Elle qui adore la Louisiane plus que tout et qui n’envisageait jamais l’idée de pouvoir un jour quitter Baton-Rouge, aurait subitement changé d’avis après des années à rabâcher le même discours utopique sur notre ville chérie. J’ai un mauvais pressentiment, comme l’impression que quelque chose cloche. Je l’observe avec cet air interrogateur, fronçant légèrement les sourcils sans néanmoins me départir de mon sourire : Tiens donc ? Toi qui ne jurais que par la Louisiane. Que nous vaut ce changement si soudain ?

Je lui suggère d’aller dignement fêter nos retrouvailles comme il se doit autour d’une bonne assiette de malbouffe comme on les aime. Nouvelle ville ne signifie en aucun cas perdre nos bonnes vieilles habitudes. Nous ne sommes pas le genre de filles à geindre pour avoir pris quelques grammes ou qui surveillent leurs moindres quantités de bouffe qu'elles ingurgitent. Nous partons du principe que nous avons une seule vie alors pourquoi se priver des merveilleuses choses qu’elle nous offre ? Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, alors nous jouissons de chaque jour qui passe comme si c’était le dernier, sans tomber dans des excès qui nous vaudrait la décadence, la débauche ou pire encore. Enfin, pour ma part, depuis que j’ai mis les pieds à Los Angeles, je ne me suis pas privée. J’ai même pris goût aux mœurs de la ville et rencontré le beau Nolan, un charmant militaire avec qui la nuit fut des plus...délicieuses ! Bon certes, je lui ai menti sur mon âge, mais ça en valait la peine. Je ne regrette rien !

Nous marchons tranquillement jusqu’à la sortie du campus tout en discutant du futur plat qui ornera notre assiette. Je peux déjà sentir le goût des frites pétiller dans ma bouche. Nous empruntons les rues de Los Angeles en quête de notre déjeuner : Alors dis-moi, ce n’était pas trop déprimant sans moi ? T’as des nouvelles d’Adam ? Il ne répond pas à mes appels ni à mes sms…

C’est peut-être la seule et unique chose qui arrive encore à m’atteindre aujourd’hui. Ça fait quelques années qu’il est comme ça avec moi, si distant, si froid, tellement différent…comme l’impression que quelque chose s’est brisé entre nous depuis cette fameuse soirée où, j’ai fini complètement bourrée. Il n’a jamais voulu en reparler et il n’est jamais revenu dessus. J’ai maintes fois essayé d’en discuter avec lui, mais je me fais rembarrer aussi sec. Alors j’ai juste…laissé tomber. Même Aelynn n’a aucune idée de ce qu’il a dans la tête. Si seulement je savais…

Retrouvailles animées

Et bien oui Aelynette chérie, tu m’as tellement rabâché les oreilles avec la Louisiane, me trouvant mille et une raisons pour m’empêcher de partir que j’ai bien du mal à comprendre pourquoi tu as subitement décidé de me rejoindre ici. Je sais pertinemment que j’te manquais, mais je mettrais ma main à couper que ce n’en est pas la raison principale. Son manque de clarté dans sa réponse, enfin…si on peut appeler ça une réponse, me met clairement la puce à l’oreille. Je connais ma meilleure amie depuis très longtemps. Ce n’est pas son genre de rester évasive face à mes interrogations. Il y a anguille sous roche. Je nous arrête en pleine rue, me place face à elle et soupire : Okay. Crache le morceau !

Puis je l’arrête à nouveau : Non attends ! On en parlera à table. Pas ici.

Nous reprenons notre périple vers notre déjeuner. Curieuse de savoir si, de son côté, elle a des nouvelles d’Adam, c'est avec la boule au ventre que je me risque à lui poser la question. Et s’il avait décidé de me rayer complètement de son existence ? Je n’en connaîtrais jamais les raisons et ça me ronge. Je mords l’intérieur de ma joue, anxieuse. Pourquoi son explication ne me rassure qu’à moitié ? Aelynn semble visiblement toujours en contact avec lui. Des messages de temps à autres, c’est toujours mieux que le Néant total de mon côté...Mais qu’ai-je pu bien faire pour mériter son silence ? Je ne peux cacher le mal que cette situation m’inspire. Adam est mon meilleur ami...il me manque et son absence m'est insupportable...Mon regard s’obscurcit de mélancolie. Je tente de garder la tête haute puis force un sourire.

Toi au moins tu en as…mon regard se perd au-delà de l’horizon, où les voitures doucement disparaissent du paysage.Depuis combien de temps il est comme ça avec toi ? Je n’ai même pas pu lui dire au revoir… Je soupire de plus bel.

Je crois qu’il a décidé de me rayer définitivement de sa vie… Je rabats une mèche de cheveux derrière l’oreille et nous marchons côté à côté en silence jusqu’au snack. Assez ! Je dois cesser de broyer ainsi du noir et profite de ce déjeuner pour fêter dignement nos retrouvailles en parlant de chose un peu plus joyeuses. Enfin…j’imagine que la présence d’Aelynn à Los Angeles n’est pas le fruit d’un simple hasard ou une volonté propre de la jeune femme. Et même si je suis contente, j’ai comme le présentiment que ça cache quelque chose de bien moins réjouissant. Je ne vais pas tarder à le savoir ! Nous entrons à l’intérieur et nous installons telles deux grosses prête à engloutir nos mets. Un sourire ravi nait aussitôt sur mon visage lorsque mon amie passe sa commande. Je constate qu’il y a des habitudes qui ne perdent pas !  

La serveuse se tourne vers moi : Alors pour ma part, ça sera un campagnard avec double portion de frites, sauce Barbecue et un coca s’il vous plait. Je choisirai le dessert plus tard. On nous amène très vite nos boissons. Je me saisis d’une paille dans le pot de notre table, ouvre ma canette pour y glisser le petit bâtonnet de plastique que je porte aussitôt à mes lèvres pour m’en délecter avec délice. Je bois une bonne gorgée de soda sucrée puis croise les bras. Je la dévisage d’un air à la fois inquiet et inquisiteur. Je ne m’attends certainement pas à une bonne nouvelle, mais demeurer ainsi dans le flou me rend un peu nerveuse.

Alors ? Pas la peine d’en demander davantage, elle sait très bien ce que j’attends.

Retrouvailles animées

Quand j’écoute ses explications, elle ne semble pas plus informée que moi sur l’étrange attitude de notre ami. Même si ça me brise le cœur qu’on en soit arrivé là, je me rassure un peu à l’idée qu’il se comporte de la même manière avec elle. Mais qu’avons-nous pu bien faire à cette fameuse soirée pour mériter de perdre son amitié ? Je n’ajoute rien de plus et me contente d’acquiescer sans pouvoir cacher la déception et la tristesse que cette situation m’inspire. Voyant mon désarroi, elle se propose de mener l’enquête pour découvrir ce qui a pu bien faire fuir notre ami. Je laisse échapper un petit rire nasal : Non, c’est bon, t’inquiète Sherlock. Je me dis qu’un jour tôt ou tard, si nous avons vraiment été ses amies, il finira par revenir vers nous. Et puis, pour être honnête, j’ai tellement bu à cette soirée que je ne me souviens absolument de rien. Le trou noir total. J’ai peur de ce que je pourrais découvrir, avouai-je gênée en rabattant une mèche de cheveux derrière l’oreille.

Laissons ça derrière tu veux bien ?

Nous arrivons vite, aussi inséparables que Tic et Tac et nous nous installons au snack pour passer commandes. En attendant nos plats, je décide de revenir au sujet précédent. J’aimerais comprendre ce qui l’a réellement amenée ici. Elle a beau m’aimer de tout son petit cœur fragile (oui, Aelynn est une grande sentimentale, mais chut !) ce n’est certainement pas pour mes beaux yeux qu’elle a décidé de poser ses valises dans la cité des Anges. Je lui demande alors quelques explications. Hésitante, elle finit par m’avouer fuir quelqu’un sans entrer dans les détails. Je l’observe dubitative, assoiffée de connaître la suite. Elle sait pourtant que je ne vais pas en rester là. Je prends une profonde inspiration, croise les bras et la fixe plus intensément dans les yeux: Tu crois vraiment que je vais me contenter de ça ? J’arque un sourcil. Un silence se pose entre nous.

Accouche, imposai-je sur un ton un peu plus ferme. La serveuse nous amène quelques petites chips en attendant que notre repas bien calorique arrive. Je m’empresse de me saisir d’une et de la porter à ma bouche pour croquer dedans, laissant ainsi la patate souffler croustiller entre mes dents.

Je vais finir par m’inquiéter ! Tu vas m’expliquer ce qui se passe ?