Cette journée qui avait pourtant si bien commencée, pris une tournure légèrement dérangeante lorsque j'aperçu un agent de police déposer un petit papier sur le pare-brise de ma voiture. Je m'étais stationné à peine 5 min sur le bord de la route pour déposer des papiers à l'agence immobilière en charge de me trouver un logement. Cinq minutes, qui avaient largement suffi à ce policier pour me verbaliser pour stationnement gênant. Je m'étais alors précipité vers lui pour lui fournir une explication et tenter de le résoudre à ne pas me verbaliser. Ce fut après un long échange marqué par quelques allusions douteuses et propositions déplacés que je me retrouvais redevable d'une contravention.

Je repris la route pour me rendre au travail, mais mon énervement ne faisait que grimper au fur et à mesure que je me repassais les événements précédents, je me décidais alors à m'arrêter au Coffee Bakery sur Rose Avenue. Je ne fis pas la même erreur et me stationnais correctement cette fois-ci, je voulais m'épargner une nouvelle situation dérangeante. Un coup de fil de mon meilleur ami Seth, m'arrêta dans mon élan et j'attrapais mon téléphone pour lui répondre. Il voulait confirmation que nous nous retrouvions pour manger ensemble ce midi, mais le ton de ma voix l'interpella immédiatement et je lui expliquais ma mésaventure. C'est l'oreillette à l'oreille, en pleine conversation avec mon meilleur ami que je passais la porte du café, me positionnant dans la file d'attente pour commander. "Les flics de cette ville sont vraiment tous des pervers."  

Je n'avais pas toujours eu de bon rapport avec les flics de cette ville par le passé. J'avais traversé une passe plutôt difficile en découvrant la vérité sur mes origines, sur ma famille et cela m'avait valu quelques passages au commissariat. Heureusement, je n'avais jamais vraiment eu de gros soucis, principalement des rappels à l'ordre et des invitations à modifier ma manière de vivre. Autrement dit, il m'avait clairement fait comprendre que la drogue, c'était mal. Cependant, malgré tout, ils avaient toujours eu un comportement décent, ce qui n'avait pas été le cas du policier de ce matin. À quel moment, un flic qui venait de vous dire que vous n'étiez pas au-dessus des lois, se permettait-il, lui même, de les enfreindre en vous faisant comprendre qu'il pourrait oublier de vous mettre une amende à condition d'accepter un tête à tête avec lui. J'avais évidemment refusé sa proposition déplacé, mais ça ne l'avait pas empêché de m'attraper par le bras pour insister. J'avais été d'abord surprise de ce geste, puis je m'étais immédiatement détaché de son emprise avant de prendre le papier sur mon pare-brise et de monter dans ma voiture sans un regard, ni un mot pour lui.

J'étais donc entré dans le café en pleine conversation avec mon meilleur ami Seth. Une discussion qui portait sur cette mésaventure. J'étais sidéré par le comportement de celui-ci et j'en fis part à Seth, avec tout l'agacement que cela avait pu provoquer chez moi. J'avais même eu l'indiscrétion de traiter les flics de pervers devant tous les clients du café, ce qui me valut quelques regards surpris. Je proposais à Seth d'en reparler de visu ce midi et je raccrochais le téléphone. J'allais essayer de me faire plus discrète que je ne l'avais été jusqu'à présent, mais l'homme juste devant moi, se tourna dans ma direction, en partageant avec moi une plaisanterie sur les policiers. Ça remarque me décrocha un léger rire et je me pinçais les lèvres légèrement gênée, tout en cachant mon visage rougissant dans mes mains. " Je crois que je n'ai pas été discrète sur ce coup, mais si vous saviez toute l'histoire, vous seriez probablement convaincue par votre propre plaisanterie." Je le regardais avec un air blasé et en même temps, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire. Il avait simplement réussi par ses mots à m'apporter un certain réconfort.

Le jeune homme se montra rassurant. Il m’invitait à ne pas me sentir gêné et lorsqu’il me parla de la femme à quelques mètres de nous, ma gêne s’effaça immédiatement pour laisser place à de l’amusement. Il avait raison, sa manière de manger en était presque écœurante et je ne pus m’empêcher de pouffer de rire en le voyant fièrement le lui faire comprendre, sans aucune honte à le dire haut et fort. Je tentais tant bien que mal de ne pas rire, pourtant, j’en mourrais d’envie, comme la plupart des personnes autour de nous. Je détachais mon regard de cette fameuse femme pour le poser à nouveau sur le jeune homme, clairement plus agréable à regarder. Je souriais à pleines dents. Je ne le connaissais pas, mais il me faisait déjà rire et j’appréciais sa compagnie. « Je crois qu’il n’y a plus aucune chance qu’elle partage son croissant avec vous. »

Le sujet de conversation revint alors sur les policiers de Los Angeles et je ne pouvais qu’être en accord avec lui concernant leur réputation. J’avais vécu presque toute ma vie à Los Angeles et j’avais pu constater moi-même que les mœurs évoluaient. Il m’étonna davantage quand il me proposa de lui raconter mon expérience de la matinée. Je restais un peu sans voix, avant de finalement lui expliquer en attendant notre tour. « Pour résumé, je me suis garé en double file, ce qui je comprends n’est pas autorisé, mais j’avais que quelques papiers à déposer. Bref, quand je suis retourné à ma voiture, un policier était en train de me verbaliser, j’ai tenté de lui expliquer en espérant qu’il serait sympa et qu’il laisserait tomber puisque j’allais partir, mais non. Il m’a fait tout son speech sur ‘la loi, c’est la loi’ et que je n’étais pas au-dessus de celle-ci… » Rien que d’y repenser, je me sentais bouillir de l’intérieur. « … bref, j’allais partir avec mon amende dans les mains, quand il m’a proposé de la faire sauter à condition que j’accepte un ‘tête-à-tête’ avec lui. » J’avais insisté sur le terme tête à tête en mimant des guillemets, pour qu’il comprenne bien le sous-entendu de ce policier. « J’ai évidemment refusé. Surtout qu'il venait de me balancer son speech sur la loi ! Et là, il m’a saisi le bras pour m’arrêter et appuyer de nouveau sa proposition. Je me suis dégagée et je suis partie le plus rapidement possible». J’aurais pu lui crier dessus et le mettre dans l’embarras devant les passants, mais je n’avais pas osé. Il n’était jamais très bon de se mettre un policier à dos dans cette ville, ni dans n’importe laquelle en réalité. Un regard dans la direction de mon partenaire de file d’attente et je compris qu’il n’appréciait pas du tout ce que je venais de lui raconter. « Voilà ! Les femmes de Los Angeles se sentent en sécurité avec des policiers comme lui pour les protéger. » Dis-je avec une certaine pointe d’ironie.

Lorsque l’on se réveille le matin, on a toujours ce petit espoir intérieur que notre journée se déroulera de la meilleure façon possible. Comme une prière que l’on se fait à soit même. La mienne n’avait clairement pas été entendue parce que l’on ne pouvait pas définir ma journée comme une bonne journée. Elle était de celle dont on se passerait bien. Mais elle était ce qu’elle était avec son lot de mésaventure et une partie de moi espérait qu’elle s’arrangerait d’elle-même.

C’était sans compter sur cette rencontre fortuite dans la file d’attente du Coffee-bakery. Du haut de son mètre quatre-vingts, de ses épaules musclées et surtout de sa langue bien pendue, il avait réussi à rendre mon début de journée un peu moins maussade, qu’elle ne l’était. Je n’en oubliais pas ce qui s’était passé, mais pendant quelques minutes au moins, je me sentais un peu moins à cran. Je ne le connaissais pas et pourtant, il nous avait fallu qu’un bref échange pour me faire rire. Sa bonne humeur était communicative et ça faisait du bien.

Je pouffais de rire sans pouvoir me retenir, avant que mon rire ne soit remplacé par une grimace. « C’est atroce ! » Au final, plus que d’imaginer de la simple viande avariée, mon esprit me joua un tour en immiscent l’image de cette même viande mâchée par cette femme en lieu et place de son croissant. « J’ai l’image horrible que ce soit de la viande dans sa bouche. Je ne sais pas si je dois vous remercier pour ça. » Je me remis à rire, alors même que mon visage continuais à grimacer.

La rigolade et l’écœurement passé, le beau mec de la file d’attente m’incita à lui raconter ma mésaventure du matin. J’avais hésité un moment. Loin de moi l’envie de l’emmerder avec mes problèmes alors qu’il ne me connaissait même pas, mais il semblait intrigué et curieux d’entendre l’histoire, alors ma langue se délia et je la lui racontais de la façon la plus brève, mais précise possible . Au fur et à mesure que je lui fis par de mon récit, je sentais la tension remonter en moi et étonnamment, je la remarquais également en lui. Il semblait légèrement crisper même si tout son corps semblait dire le contraire. Au fond de moi, je me sentais légèrement rassuré, j’avais la sensation que mon énervement était légitime. Les paroles qu’il prononça à la fin de mon récit, bien qu’elle me décrocha un énième sourire, me firent réfléchir sur ce que je comptais faire par rapport à la situation. « Je ne sais pas. Aller dire à un flic qu’un autre flic se comporte de manière irrespectueuse ? Il va sûrement me rire au nez et tout ce qui en ressortira, c’est qu’une gonzesse essaie d’emmerder un flic pour ne pas avoir de prune, surtout sans preuve. Je le vois gros comme une montagne. » Je haussais les épaules désabusées par la situation, mais je n’étais probablement pas si éloigné de la réalité. « Mais si, par hasard, il finissait pendu par les couilles, je prendrais sûrement mon billet pour voir ça. Excusez ma grossièreté.» Je souriais amusé en insistant sur les trois derniers mots. Il se pensait grossier et peut-être qu’il l’était un peu, mais j’avais probablement pensé pire sur le trajet jusqu’au café, alors je n’étais définitivement pas outré par la sentence qu’il prévoyait pour ce flic. « En tout cas, merci de montrer un peu de soutien …En fait, je ne sais pas comment vous vous appelez. ».

C'était à mon tour de lui extirper une grimace et j'en étais clairement satisfaite. Il n'y avait aucune raison à ce que je sois la seule à pâtir de ses images écœurantes. Un sourire jubilatoire sur le visage et je riais de bon cœur avec lui. "J'ai une très bonne imagination". Et c'était une vérité. Je n'étais pas une artiste, mais j'avais grandi dans un univers où l'imaginaire m'avait longtemps servi à fuir ma réalité et bien qu'aujourd'hui, je n'étais plus en fuite, j'avais conservé ce talent.

La conversation se fit un plus grave, un peu plus sérieuse après les quelques minutes frivoles que nous avions eu dans les premiers instants de notre rencontre. Il savait tout de l'expérience que j'avais vécu en ce début de matinée et savoir qu'il compatissait, qu'il comprenait avait un goût agréable. C'est comme si mon agacement, ma colère était incontestables. Son conseil, d'aller voir la police, n'était pas un mauvais conseil. J'aurais sûrement donné le même à quelqu'un dans une situation similaire. Je lui aurais dit de ne pas le laisser sans sortir impunément. J'aurais hurlé qu'en 2021, les femmes méritaient mieux qu'être traité comme des bouts de viande. Mais, dans l'histoire qui est la mienne, il s'agissait d'un flic. Il était clairement reconnu qu'il pouvait être loyal les uns envers les autres, même s'il n'était pas tous aussi pourris. Je le savais et lui aussi le savait, il venait de m'en donner la confirmation. "Je sais, comme partout, il y a les bons et les mauvais, au même titre qu'il y a des montagnes plus faciles à gravir. Mais dans tous les cas, il faut le bon matériel pour y parvenir. Et moi, j'ai que ma paire de talons aiguille". Dis-je un sourire aux lèvres en regardant la paire d'escarpins accrochés à mes pieds. "Croyez-moi, je ne ferais pas un kilomètre sur une montagne avec ça." Je riais de mon propre humour. Ce n'était pas ma meilleure blague, mais ça n'en était pas vraiment une en réalité. C'était plutôt une constatation. Il verrait peut-être ça comme de la lâcheté, moi, je voyais ça comme de l'économie d'énergie. J'avais besoin d'un peu de sérénité dans ma vie, il était hors de question que mon retour à LA se transformait en guerre civile contre la police.

Son humour grossier avait quelque chose d'appréciable, un exutoire par l'humour et je me testais à ce petit jeu. Je n'étais pas certaine de réellement vouloir voir un homme pendu par les cacahuètes. D'un parce que ça devait être très douloureux et de deux parce que je n'étais pas sûr qu'elle resterait très longtemps accroché à son propriétaire. Rien que cette idée était immonde. Mais son humour avait le mérite de faire du bien au moral. "Merci" concluais-je un sourire espiègle accroché aux lèvres.

Je lui offris un autre merci. Un merci pour son soutien, pour son empathie à mon égard. Je profitais de ce moment pour finalement lui demander son nom. Cela faisait plusieurs bonnes minutes que je lui racontais mes malheurs sans même savoir qui était cet homme face à moi, c'était la moindre des politesses que de le lui demander. Il ne lâcha pas sur l'idée qui était la sienne de dénoncer ce flic et j'en conclus qu'il était aussi borné que drôle. Mais j'eus finalement le droit à son prénom. Je serrais la main qu'il venait de me tendre, tout en lui décrochant un sourire sincère. "Enchanté Devon, moi, c'est Ellen."

J'entendis alors un raclement de gorge, celui de la vendeuse derrière son comptoir. Je ne sais pas si elle avait patiemment attendu que nous finissions les présentations avant de se faire entendre, mais son regard semblait en dire long sur le fait qu'elle n'avait pas que ça à faire. "Je crois que c'est votre tour Devon." Il passa sa commande et alors qu'il s'apprêtait à sortir son porte-feuille pour régler sa commande, j'interpellais le caissier." Je règle sa commande et la mienne. Merci." Il acquiesça à ma demande et je passais ma carte sur le lecteur pour en valider le paiement.