Un aveu vaut toujours mieux qu'un gros mensonge

Rayden & Devon

«Les secrets de famille sont comme un brasier, il suffit d’attiser la flamme pour que ça explose.»

Deux heures du matin, service enfin terminé. Je vire mon gilet de sécurité et le dépose dans le casier du vestiaire puis récupère ma veste en cuir noir avant de l’enfiler. J’arrange brièvement le col et observe un peu ma gueule dans le miroir de la salle. J’acquiesce d’un bref signe de tête. Pour une fois que je ne sors pas tout droit de The Walking Dead avec des énormes valises sous les yeux ! Je sors rapidement pour rejoindre mon véhicule de service et me débarrasse de mes accessoires de boulot : matraque, taser et arme de service que je dépose soigneusement dans la boîte à gants. Je m’empare de mon porte feuille plongé dans la poche arrière de mon jean pour checker si j’ai assez de liquide pour nous deux. Deux cents dollars, ça devrait le faire je pense, pensai-je en esquissant un sourire en coin. Je ferme la porte de la bagnole et m’y adosse en attendant ma frangine.

C’est dans cette attente que je songe. En effet,  je réfléchis à la manière dont je vais pouvoir aborder le sujet Raven sans m’en prendre plein la gueule. J’ai voulu gérer seul la situation, pensant que je pourrais régler au plus vite ce problème sans que ça prenne des proportions démesurées. Et comme avec tout ce que j’entreprends, non seulement, je me suis vautré en beauté, mais en plus je l’ai fait fuir loin d’ici. Et puis, la cerise sur le gâteau, c’est que je suis désormais sans nouvelles. Le calme plat. Connaissant Rayden, je vais en prendre pour mon grade, d’abord parce que je ne lui en ai pas parlé et ensuite parce que je m’y suis pris comme un manche. Et puis, je ne suis probablement le mieux placé pour donner des leçon de morale sur son addiction. Depuis le décès de Lexie et d'Andy, je me suis refermé comme une huitre. J'ai perdu l'habitude de m'ouvrir. Elle va probablement m'en vouloir, mais vue la situation actuelle, je n'ai plus vraiment le choix. Si par malheur il arrivait quelque chose à Rav', je ne me le pardonnerais jamais. Rayden non plus tout comme le reste de la famille. D ’ailleurs, la voilà qui arrive. Je me redresse en la voyant arriver : Prête pour aller manger un morceau ?

C’était une soirée plutôt tranquille que Rayden venait de passer. C’est sûr que les petits bobos dans une fête foraine n’avaient rien à voir avec les urgences de l’hôpital. Même si là-bas aussi certaines personnes venaient pour des raisons complètement ridicules et faisaient perdre du temps autant aux médecins, qu’aux infirmières. Finir à deux heures du matin était un horaire plutôt décent pour la demoiselle Whitmore qui avait l’habitude à des gardes de vingt-quatre heures voire plus. La jeune femme rangeait dans l’armoire à pharmacie ce qui devait l’être. Elle s’assurait que le local de secours était rangé et propre avant de fermer la pièce à clé et de remettre celle-ci à l’agent de sécurité. Demain, ce serait un autre médecin qui serait bénévole à ce poste. Ou peut-être qu’elle reviendrait donnée un coup de main, si elle n’avait rien à faire de sa journée de repos. Elle verrait bien, même si elle savait qu’elle devrait surement ralentir avec les heures de travail.

Il était maintenant tant pour Rayden d’aller rejoindre son frère pour manger un morceau. Devon était déjà là adosser contre sa voiture. « Oui, je suis prête. » Dit-elle toute souriante avant d’ajouter « La soirée est restée aussi calme qu’elle a commencé ? Ou bien tu as eu la chance d’avoir un peu d’action ? » Lorsqu’elle l’avait vu précédemment au cours de la soirée, il se plaignait que sa patrouille était assez ennuyeuse. Mais des soirées tranquilles ne faisaient pas de mal, elle pouvait même être bénéfique. Pour la jeune femme la soirée avait été juste assez active pour qu’elle pense le moins possible à ses préoccupations quotidiennes. Celles-ci ne l’embêtaient pas beaucoup au cours de la journée, c’était plutôt la nuit qu’elles venaient la hanter. Qu’elles s’amusaient en lui laissant aucun répit et en lui mettant des idées noires en tête. Cette nuit elle serait peut-être épargnée, la partie obscure de la journée avait déjà commencé depuis un petit moment. Elle ne comptait pas rentrer tout de suite chez elle.

Un aveu vaut toujours mieux qu'un gros mensonge

Rayden & Devon

«Les secrets de famille sont comme un brasier, il suffit d’attiser la flamme pour que ça explose.»

Enfin seuls ! Et pas pour une quinzaine de minutes. Non. J’espère qu’elle n’a rien de prévu ou qu’elle ne compte pas rentrer tout de suite car j’attendais ce moment avec impatience. Cela fait tellement longtemps que nous n’avons pas eu d’occasion de nous retrouver depuis son retour à Los Angeles. Les choses n’ont pas été faciles pour Rayden. Malgré les apparences, derrière ce magnifique sourire se cache une femme brisée, meurtrie par un deuil dont je suis le seul de cette famille à pouvoir comprendre. Je la connais. Elle joue les femmes fortes, et son boulot est sûrement sa seule bouée de sauvetage pour le moment, ce qui lui permet de tenir et de ne pas sombrer.

Néanmoins, ces trois dernières années m’ont appris une chose: rien n’efface la douleur, cette horrible sensation qu’est de perdre un être cher. C’est comme si une partie de nous s’en est allée avec l’être tant aimé. Plus rien n’est pareil. Il ne reste qu’un vide total, un trou béant à notre existence qu’on ne sait pas combler. On survit comme on peut. On surmonte nos chimères, chacun à sa manière. Moi j’ai été faible. J’ai succombé au plaisir décadent de l’alcool, et aujourd’hui, je ne suis plus que l’ombre de moi-même, seul et accroc. Quant à ma sœur, je suis content qu’elle n’ait pas pris le même chemin que moi ou pire encore, de Raven. Il y a peut-être encore un espoir pour elle ! Je vais tout faire pour l’aider, pour voir à nouveau ce sourire, heureux et sincère qui jadis,  prospérait sur son parfait visage.

Je lui propose d’aller manger un morceau, histoire de se poser et de pouvoir discuter un peu, d’autant plus qu’il faut lui annoncer la couleur au sujet du frangin. Et la connaissant, je vais en prendre pour mon grade…

Niquel ! Alors en voiture gente dame ! dis-je en lui ouvrant la portière de la voiture.

A ton avis ? Si je suis prêt avant toi, c’est que c’était aussi chiant qu’un épisode des frères Scott ! lançai-je en soupirant et en haussant les sourcils. Elle sait mieux que quiconque, à quel point je déteste cette série dont le niveau de gnangnantisme me donne juste envie de gerber. Je m’empresse de rentrer dans la voiture et attache ma ceinture puis démarre le moteur.

T’as envie de quoi ? Je t’invite. Pendant que je la laisse s'installer, s’attacher et choisir ce qu’elle voudrait manger, je quitte doucement le parking, puis marque un arrêt au stop de la sortie.

Tu veux manger sur place, ou on prend à emporter et on se pose chez l’un de nous ?

Je checke les éventuels véhicules qui seraient susceptible de débouler sur chaque côté de la route. Comme aucun véhicule ne roule à cette heure-ci, je m'engage, attendant patiemment que mademoiselle se décide.

Le travail, c'était désormais la seule chose qui avait réellement de l'importance dans la vie de Rayden. C'est ce qui lui permettait de sortir la tête de l'eau et de ne pas sombrer dans une longue et douloureuse noyade. La médecine, son métier d'urgentiste était ce que la demoiselle Whitmore avait de mieux dans la vie. Ça lui avait permis de ne pas plonger dans le même vice que son frère aîné. Comme Devon, la jeune femme aurait pu elle aussi faire le choix de boire pour oublier sa peine et la douleur qui le crevait le cœur à chaque instant. Mais en se mettant à boire, elle ne pourrait plus s'exercer. Elle ne pouvait pas prendre le risque de perdre la seule chose de positive dans sa vie. Elle ne pouvait pas prendre le risque de jouer avec une vie humaine. Surtout pas après avoir vécu elle même une perte d’un être cher. Elle savait que dans sa profession chacune de ses décisions, chacun de ses gestes étaient primordiales. Elle ne pouvait pas se permettre d'être embrumée par l'essence de l'alcool, seulement par pur égoïsme. Dans l’unique but d’oublier un court instant, pour anesthésier sa peine. Ça n'aurait aucun sens, aucun intérêt, elle aurait beaucoup trop à perdre pour une illusion de bien-être éphémère. Elle serait également dans l'incapacité d'aider Devon. Ce serait le contraire, c'est lui qui tenterait de la sauver et s'enfonçant davantage dans le néant de sa propre souffrance. 

Rayden n'était pas la seule des Whitmore à avoir connu la perte d'un être cher. Devon lui aussi en avait fait l'expérience quelque temps avant sa sœur en perdant les deux personnes les plus importantes de sa vie. Contrairement à Rayden, il ne trouvait rien à quoi s’accrocher. Ce soir, il semblait bien, mais elle avait peur que ce ne soit qu’une simple façade. Cela faisait quelque temps que le frère et la sœur ne s’étaient pas retrouvés seul à seul. Qui n’avait pas pris le temps de discuter en toute franchise et de se dire réellement les choses. Aucun des deux ne voulait ennuyer l’autre avec ses problèmes. Mais chacun savait que l’autre n’allait pas bien. Comment pouvait-on aller bien avec toutes les choses que chacun d’entre eux avait dû endurer ces dernières années ? Ce soir, Rayden ne savait pas s’ils allaient poursuivre en gardant la caparace qu’ils montraient au monde ou est-ce qu’ils allaient laisser apercevoir l’épave qu’ils étaient réellement. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils s’étaient réfugiés à Los Angeles loin de leur famille. Enfin, c’était l’une des raisons pour la jeune femme.

La demoiselle Whitmore allait rejoindre son frère qui l’attendait adossé à sa voiture. Apparemment, la soirée de Devon avait fini de la même manière qu’elle avait commencé longue et ennuyeuse. « Les frères Scott ça peut être sympa de temps en temps.» Ce n’était pas le programme que Rayden préférait, loin de là. Mais ça se regardait pour faire passer le temps, comme durant les innombrables soirées d’insomnie lorsqu’elle ne trouvait rien de mieux. En voiture, Devon demandait sa jeune sœur ce qu’elle avait envie de manger. Rayden n’était pas quelqu’un de très compliqué. « J’ai envie d’une pizza. Ça te dit ? C’est comme tu préfères. Mais je t’avoue que je n’ai pas envie d’aller chez moi, donc sur place, ou chez toi, à moins que ce soit le bordel. » L’urgentiste en avait assez de ses quatre murs. Elle les avait tellement scrutés ses derniers mois qu’elle ne supportait plus d’être chez elle. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle passait de plus en plus de temps à l’hôpital. Mais depuis l’incident avec Wyatt, elle ne pouvait plus se le permettre. Elle ne voulait pas prendre le risque de perdre une nouvelle fois le contrôle. Mais surtout elle craignait qu’un journée, elle puisse blesser quelqu’un. C’était un risque que Rayden refuse de courir. Elle ne se le pardonnerait jamais et ça ferait énormément de tord à son image, mais avant tout à sa carrière. Si elle perdait son droit d’exercer, plus rien ne maintiendrait la jeune femme à flot.

Un aveu vaut toujours mieux qu'un gros mensonge

Rayden & Devon

«Les secrets de famille sont comme un brasier, il suffit d’attiser la flamme pour que ça explose.»

Ah non sœurette, je crois que là on ne va pas être d’accord. Cette série est le genre de niaiserie dont je suis éperdument allergique. J’ai des passe-temps bien plus excitants lorsque j’me fait chier comme un rat mort. Je lève les yeux au ciel tout en manœuvrant la bagnole pour sortir du parking principal.

C’est pour les gonzesses ! Je préfère encore un épisode de l’inspecteur Derrick. Lui au moins il a un intérêt, celui d’être royalement soporifique !

Avant de planifier programme, je te demande quelles sont tes préférences culinaires pour ce soir afin d’entamer notre route vers notre destination finale. Ce soir, ce sera donc pizza pour toi. Ça me va. Tu ne veux pas rester chez toi ? Pas de problème, on ira squatter à la maison. Ça lui redonnera un peu de vie, il y a longtemps que je n’ai pas reçu de visite. Je prends alors la direction de chez moi.

Va pour pizza. Du coup, on commandera et on se fera livrer, ça nous évite une halte nocturne sur place. Je m’arrête à un premier feu rouge et relève ta petite remarque taquine. Je plisse légèrement les yeux et te jette un regard faussement irrité : Ma chère sœur, insinuerais-tu que ton magnifique et parfait grand frère serait légèrement désordonné ? Puis je me permets d’ajouter sur une note humoristique, j’ai certes un goût prononcé pour l’alcool mais depuis que je suis marié, j’ai toujours eu le sens du rangement. Puis, pour éviter de jeter un malaise avec ma petite allusion, je te regarde à nouveau le sourire aux lèvres au détour d’un deuxième feu rouge.

Ça va t’inquiète. Je l’ai accepté tu sais. Et, je vais essayer de faire des efforts. J’ai même prévu d’aller aux AA.

Quelques minutes plus tard, nous voilà arrivés chez moi. Je te laisse descendre tranquillement pendant que j’ouvre la porte d’entrée. Une fois derrière moi, je verrouille la voiture avec la clef portative puis te fais entrer à l’intérieur. J’allume la lumière du salon et file à la cuisine chopper le prospectus à pizza placardé sur le frigo.

Tiens. Choisis. J’arrive. Je vais ranger mon insigne et mon flingue, expliquai-je en te tendant le dépliant. Je t’abandonne quelques instants au salon et file à l’étage dans ma chambre pour ranger mes affaires. Je fais un petit détour aux chiottes faire la vidange et à la salle de bain pour me débarbouiller un peu le visage.

J’ôte mon pull et enfile un tee-shirt pour être un peu plus à l’aise. Je redescends l’escalier et te rejoins : Alors t’as fait ton choix ? demandai-je en me saisissant du téléphone fixe, prêt à composer le numéro de la pizzéria.

Rayden taquinait Devon en disant que la série les Frères Scott pouvait être sympathique. Elle savait à quel point, celle-ci pouvait l’agacer. La jeune femme mentirait si elle disait n’avoir jamais vu cette série. Elle pouvait parfois s’arrêter dessus quand elle passait à la télévision. Apparemment, Devon préférait la série la plus ennuyeuse de la planète. L’inspecteur Derrick, quelle idée ? « On ne dirait pas parfois, mais je suis une gonzesse, Devon. Avoue que c’est en regardant cette série que tu as eu envie de devenir flic ! Attention de ne pas devenir aussi soporifique que lui. »

Devon laissait à Rayden l’honneur de choisir le repas. Elle n’allait pas chercher bien loin ou compliqué. La demoiselle Whitmore avait porté son choix sur une simple pizza, simple et bon. Ils la mangeraient sur place ou chez Devon. Ce n’est pas que la jeune femme ne voulait pas accueillir son frère chez elle, au contraire. Elle en avait simplement assez d’y être. Elle aimait de moins en moins son appartement et songeait à peut-être déménagé. Elle resterait tout de même dans le même quartier. Mais ce n’était que déplacé ou reporter le problème. Tant qu’elle n’aurait pas réglé ses soucis d’insomnie et son stress post-traumatique, rien ne changerait. Est ce que seulement, c’était possible de surmonter cela ? Rayden en doutait de plus en plus. Plus on lui disait qu’il y avait de l’amélioration, plus elle avait l’impression que c’était bien pire. Comme si c’était un mensonge qu’on lui servait pour l’encourager ou lui faire de faux espoirs. « Je n’insinue rien du tout. Mais ce n’est pas impossible que tu te sois laissé un peu aller. Je ne faisais pas particulièrement allusion à l’alcool. » Ça arrivait parfois à Rayden pourquoi pas à Devon aussi. D’ailleurs, ce dernier lui annonçait qu’il comptait se rendre aux AA. « Les AA ? Les alcooliques anonymes ? Sérieux ? » Rayden désespérait qu’un jour, il se reprenne en main. Elle était heureuse qu’il tente enfin quelque chose, même si le chemin serait probablement très long. « Je suis contente. Tu ne serais pas en train de conduire, je t’aurais pris dans mes bras. Qu’est-ce qui t’a décidé ? » La blonde était curieuse de savoir quel fameux déclic, il a eu.

Arrivée chez Devon, Rayden s’asseyait sur le canapé, prospectus de pizza que son frère lui avait passé à la main. Pendant ce temps, ce dernier allait ranger son arme de service ainsi que son insigne. « En me laissant choisir, tu n’as pas peur de te retrouver avec une Hawaïenne ? Je plaisante, si ça te va ça sera plutôt une New-Yorkaise. » 

Un aveu vaut toujours mieux qu'un gros mensonge

Rayden & Devon

«Les secrets de famille sont comme un brasier, il suffit d’attiser la flamme pour que ça explose.»

J’explose de rire en passant la troisième : Tu m’excuses, je n’ai pas pour habitude de mater ma petite sœur ! Non mais ho ! hum…pas faux ! Je dois d’ailleurs vous remercier toi et maman ! vous étiez collées comme deux sangsues à l’écran en train de baver sur les deux grands cons. De vrais mochetés en plus ! Je prends un air outré en écarquillant les yeux telles deux grosses billes puis stoppe le véhicule d’un coup sec. Je lève mon index et le dirige droit vers mon torse : Le jour où je serai soporifique, il me sortira des macaques du cul ! en d’autres termes, ça n’arrivera jamais ! Je hausse fièrement à plusieurs reprises les sourcils avant de reprendre la route jusqu’à chez moi.

Après t’avoir demandé ce qui te ferait envie, on se met d’accord pour pizza en livraison chez moi. Au moins, pas la peine de se faire chier à attendre sur place. Tu refuses qu’on aille chez toi. Je ne peux pas te blâmer. Il fut une période où moi aussi ma baraque me sortait par les yeux. Tu t’imagines peut-être que je suis aussi bordélique qu’à l’époque où je créchais encore chez les parents. C’est bien loin tout ça. Grâce à Lexie, j’ai appris à être un peu plus ordonné. Puis quand on aime, on se surprend à faire des choses qu’on se croyait incapable d’accomplir. J’me souviens d’ailleurs la gueule de maman la première fois qu’elle est venue à la maison. Elle et sa langue de vipère ! On peut dire que ça lui a coupé le sifflet la vieille  !

Nope, j’ai de nombreux défauts c’est vrai. Au boulot j’ai pris l’habitude d’ordonner mes affaires. Il le faut ! Du coup j’ai gardé ce rythme à la maison. J’me dis que Lex n’aurait pas aimé que je me laisse autant aller. D’ailleurs si elle savait… Je soupire. Si elle savait ce que je suis devenu...

Je te fais d’ailleurs même un peu d’humour sur mon problème avec l’alcool, histoire que tu ne te sentes pas mal à l’aise en évoquant le sujet. Tu sembles d’ailleurs très surprise lorsque je te parle des AA. Un petit sourire en coin nait subitement sur mon visage concentré sur la route : Evite les accolades quand je conduis. Une fois à la maison, tu pourras m’étouffer autant que tu le souhaites, plaisantai-je.

Oui ! Les Alcooliques Anonymes. J’me suis dit que je n’avais plus rien à perdre de toute manière ! Qu’est-ce qui m’a décidé ? Le visage de Sanaa et notre longue conversation me reviennent brusquement en mémoire. Je demeure un instant silencieux.

Bah Gimini Cricket ! Je gare la voiture devant la maison.

Bah quoi ? Moi aussi j’ai une conscience. Allez descends !

Il est HORS DE QUESTION de te parler de ma voisine. Je vois d'ici l'interrogatoire ! C’est qui ? Tu l'as connu où ? Elle te plait ? Il y a quelque chose entre vous ? Bla bla…. J'te connais, tu ne lâcheras pas le morceau si j'en fais la moindre allusion. On est tenace chez les Whitmore ! Alors, disons que je préfère laisser planer le mystère.

Une fois à l’intérieur, je te laisse t’installer et choisir la pizza qui te fait envie sur le dépliant que je t'ai donné. Quant à moi, je vais à l’étage déposer mes affaires, me débarbouiller et me mettre un peu plus à l’aise. Quand je redescends je choppe le téléphone et m’accoude contre la rampe d’escalier, attendant ta commande: Oh tu sais tant que tu me choisis pas un truc chelou avec des fruits de mer j’m’en fous. Le poulet et l’ananas j’aime bien. Hawaïenne, ça m’allait bien. New Yorkaise alors ? On va s'en prendre une autre. C’est une achetée, une offerte en livraison. Western ça te va pour la deuxième ?

Quand on s’ennuyait comme un rat mort ou qu’on avait une nuit d’insomnie même la série la plus ratée du monde pouvait se retrouver intéressante. On faisait ce qu’on pouvait pour tuer le temps. Rayden riait à la réflexion de son frère. « Encore heureux que tu ne me mates pas. Il manquerait plus, qu’il ait de l’inceste dans notre famille. » Comme si les Whitmore n’avaient pas déjà assez de problèmes comme ça. « Je t’en prie. Maman et moi, on ne t’a jamais obligé à regarder avec nous. Tu te ramenais tout seul et y avait aussi de jolies filles dans cette série. Elles, tu pouvais les mater. » La blonde fut surprise par l’arrêt brutal de la voiture. « Hé ! » Tout ça pour dire que monsieur n’était pas soporifique. « Je ne remercie pas pour cette image. » Il aurait quand même pu choisir une autre métaphore, plus classe. Il en était capable.

Le programme de cette nuit serait : pizza chez Devon, simple et efficace. En allant en direction de la demeure de l’aîné, ce dernier annonçait à Rayden une nouvelle qui l'a ravie. Il avait l’intention de se rendre à une réunion des alcooliques anonymes. Depuis le temps qu’elle attendait que son frère se prenne enfin en main. Elle savait que tant que l’envie de s’en sortir ne venait pas de lui, tous les beaux discours du monde n’y feraient rien. Elle était vraiment contente que le déclic se soit enfin révélé. Elle était presque en train de perdre espoir. Comme quoi rien n’était jamais perdu. Il avait pris un peu de temps pour tout ça, mais comme on dit, il vaut mieux tard que jamais. D’autant plus que le jamais pouvait s’avérer particulièrement dramatique. « Oui, je ne vais pas te faire d'accolade maintenant. » Maintenant, Rayden était curieuse de savoir ce qui l’avait convaincu. Un événement ? Une personne ? Elle voulait tout savoir. Mais comme elle aurait dû s’en douter, Devon préférait garder le mystère sur les raisons qui le conduiraient jusqu’à l’une des réunions des alcooliques anonymes. « Jiminy Cricket ? Bah, voyons ? Tu as toujours eu une conscience, Devon pourtant avant elle n’y changer rien. Mais bon, peu importe les raisons, c’est une bonne chose que tu tentes de régler le problème. »

Rayden descend de la voiture et suit Devon chez lui. Une fois à l’intérieur, pendant qu’il déposait ses affaires, la jeune femme était en charge de choisir la pizza. « C’est Asher qui détestait ça. Il trouvait que c’était un sacrilège de mettre de l’ananas sur une pizza. Oui, une new-yorkaise, oui pour la seconde ça me va aussi. » La jeune femme s’installait sur le canapé. « C’est vrai que tu es ordonné. C’est mieux rangé que chez moi. »

Un aveu vaut toujours mieux qu'un gros mensonge

Rayden & Devon

«Les secrets de famille sont comme un brasier, il suffit d’attiser la flamme pour que ça explose.»

J’aime cette complicité entre nous. Ça faisait tellement longtemps qu’on n’avait pas déliré de la sorte. Avec toi, ça a toujours été facile. Pas besoin de préciser, tu savais toujours quand je racontais de la merde ou non. On se ressemble beaucoup toi et moi, et c’est d’ailleurs pour cette raison que tu es celle dont je suis la plus proche aujourd'hui. J’arque un sourcil : T’as beau être canon, j’ai quand même du savoir-vivre et de principe. Et puis je me mets à éclater de rire tout en ajoutant : Va savoir…_ça ne m’étonnerait même pas tu vois… entre moi l’alcoolique de service, Raven le camé, toi une ex-militaire en dépression et dieu seul sait quelles sont les tares de Doyle et Liam, notre famille est légèrement dysfonctionnelle. Je parie que tu ne dois pas comprendre cette soudaine remarque alors pour rattraper le coup je lance un : On est tous barge dans cette famille de toute façon !

Nous passons vite à autre chose. Je te voue mon amour incommensurable pour les Frères Gnan Gnan. Sincèrement, je ne sais pas comment vous faisiez maman et toi pour regarder cette niaiserie. Tu dis que ça passait le temps, mais vous baviez comme deux crapauds devant ces deux grandes tiges ! Au moins l’inspecteur Derrick a des affaires intéressantes, bien que théoriquement, tu as raison, cette série est un vrai somnifère. Tu penses que je pourrais devenir aussi soporifique ? Comment peux-tu en douter ? Je t’offre une charmante image pour te rappeler à quel point je suis loin d’être ce genre de flic chiant à mourir. Ta réaction est comme épidermique et c’est avec mon sourire d’abrutis fier comme un paon que je te réponds : Mais si mais si ! Tu verras un jour elle retraversera ton esprit dans un moment où tu te feras royalement chier. Et là, tu béniras ton grand frère pour t’avoir fait rire.  

C’est fou comme j’adore te faire chier. Il faut dire, ça m’avait manqué ! J’espère qu’on aura d’autres moments comme celui-là. Je sais que la soirée ne sera pas aussi rose, car les choses se corseront à coup sûr lorsque je vais aborder le sujet Raven. Mais pour le moment, je profite de l’instant et surtout je profite du sourire que je suscite chez toi ce soir. Comme tu ne sembles pas très motivée à ce que nous dinions chez toi, nous décidons de nous poser chez moi avec, au programme pizza posés dans le canapé. Sur le chemin, nous échangeons quelques vannes ça et là. Tu serais surprise de voir à quel point, je suis ordonné ma chère sœur. Après quelques gentilles chamailleries, je t’avoue vouloir essayer les Alcooliques Anonymes. Je ne sais pas trop ce que ça va donner. Mais j’imagine que je ne saurais pas tant que je n’aurais pas essayé ! Tu voudrais me faire un câlin et c'est sur une note d'humour que je t'exprime tout mon amour.

Il vaudrait mieux éviter, bien que je me ferai un malin plaisir à m’enivrer de ton parfum si euphorisant ! D’ ailleurs, tu as toujours le même ? lançai-je avec humour. Tu sais que je ne l’ai jamais aimé. D’ailleurs, qu’est-ce que j’ai pu te charrier à ce sujet.

Parlant des Alcooliques Anonymes, tu joues les petites fouineuses et me demandes ce qui m’a enfin décidé à me prendre en main. Connaissant le flair et la curiosité légendaire des Whitmore, je m’abstiens de toute allusion à Sanaa. Je vois d’ici le tableau : un interrogatoire en long, en large, carré, rectangle, losange, parallélépipède et je ne sais quelle autre forme. Alors, je me contente de laisser planer un peu de mystère. Après tout, j’ai le droit d’avoir mes petits secrets moi aussi. Tu sens qu’il y a anguille sous roche. Tu n’es pas stupide et ta petite remarque me le fait bien comprendre. Je prends une mine faussement choquée en marchant jusqu’au perron : Bien sûr que j’ai toujours eu une conscience ! Oserais-tu en douter ? Pourquoi tu crois que je te laissais toujours gagner à Mortal Combat ? plaisantai-je. Quoiqu’il en soit, tu sembles ravie d’apprendre mes bonnes résolutions. Enfin…j’ai dit que j’irai, reste à voir la suite. Rien n’est gagné et ce ne sont pas quelques bonnes résolutions qui vont faire disparaître cette perpétuelle envie de picoler.

Une fois à l’intérieur, chacun de nous se met plus à l’aise. Je monte un instant à l’étage pour enfiler une tenue un peu plus confortable et redescends pour appeler la pizzeria. On se met d’accord sur le repas puis je commande. Nous serons livrés d’ici trente minutes. Parfait ! Et puis, tu me parles d’Asher en t’installant sur le canapé. Je pose le téléphone sur la table basse et te rejoins. J’esquisse un petit sourire en coin en t’écoutant parler avec à la fois tant de passion et de mélancolie. Comme je te comprends Rayden…comme je te comprends.

Tu sais, le sucré salé, ça ne plait pas forcément à tout le monde. Lexie était horrifiée quand Andy trempait ses frites du Mac do dans son Sunday chocolat, dis-je en riant.

Bon…histoire de mourir moins con, j’ai quand même testé… un petit silence se pose avant d’avouer, c’est dégueulasse ! Je ris de plus bel. Un silence un peu plus pesant s’installe dans la pièce. Je sais très bien dans quel état d’esprit tu te trouves. Tu refuses d’aller chez toi. Tu parles de lui. Tu sais que je sais.

Pendant longtemps, je ne pouvais plus voir cette baraque en peinture. Tu verras, avec le temps, ça finira par aller. Tu peux dormir ici ce soir si tu veux. Et toutes les fois où tu n’auras pas le courage de passer la porte de chez toi.

Je te souris avec douceur avant de prendre un air un peu plus sérieux et un peu plus grave. Je prends une grande inspiration et lâche un profond soupire. Le moment fatidique est arrivé. Je dois me lancer. Tu dois savoir. Je ne peux plus garder ça pour moi plus longtemps. Avec lui, j’ai les bras et les mains liés. Je suis à court de solutions. J’espère qu’ensemble, on pourra en trouver d’autres pour lui venir en aide...quoique, si je suis impliqué, je risque fort de me faire envoyé péter. Tu es comme qui dirait, mon dernier espoir.

Rayden…il faut que je te dise quelque chose…Quelque chose qui concerne Raven… un nouveau silence s’impose entre nous, mais je le brise rapidement, ça risque de ne pas te plaire…

Une famille de barges, c’était un terme intéressant pour définir les membres de la famille Whitmore. Ils avaient chacun, une tare ou un caractère qui laissait à désirer. Chacun avait une petite part de folie. « Oui, mais certains le sont plus que d’autres. » En disant cela, Rayden pensait évidemment à elle. Elle savait que tout n’allait pas bien dans sa tête et que certaines personnes la prenaient pour une dingue. Comme certains de ces collègues et quelques-uns, enfin un en particulier avait toutes les raisons de penser qu’elle était folle. Mais elle essayait de paraître le plus normal possible sans se laisser submerger par ses émotions. Une chose que la demoiselle Whitmore avait toujours su faire jusqu’à la perte de son fiancé. Depuis, c’étaient ses émotions qui la dominaient et qu’elle avait du mal à gérer. Elle savait que c’était un réel problème et elle travaillait chaque jour dessus.

Devon et Rayden débattaient à propos de séries télévisées qui n’étaient pas les meilleurs programmes, que le petit écran ait pû leur offrir. Mais ils avaient la vertu de passer le temps pour l’une et d’être complètement soporifique pour l’autre. Le choix de la jeune femme était vite fait même si ça n’était pas du goût de son grand frère. D’ailleurs, ce dernier défendait ardemment le fameux inspecteur Derrick. Rayden en profitait pour comparer son grand frère à ce vieux monsieur qui menait des enquêtes. Ils avaient déjà le métier en commun. Mais évidemment, Devon n’était pas de cet avis et se défendait avec une métaphore qui dégoûtait la blonde. Elle ne se gênait pas pour lui faire remarquer. « J’espère que ça ne me reviendra pas en mémoire. J’espère bien que cette image s’effacera de mon esprit. J’ai déjà assez d’images écœurantes dans la tête. C’est grâve à toi et Raven pour la plupart. Mais je te rassure, j’ai bien d’autres conneries te concernant en tête, qui me font sourire en y repensant. » Des souvenirs avec Devon et Raven, Rayden en avait des tas et elle était parfois nostalgique de cette époque. Cette période où tout était plus simple pour tout le monde. Quand aucun d’eux n’ait dû traverser ces tragédies qui les avaient détruits ou durement abîmés.

Rayden accueillait avec joie la nouvelle résolution de Devon. Il avait enfin décidé de se prendre en main en se rendant à une réunion des alcooliques anonymes. Elle se demandait ce qui l’avait motivé à enfin ouvrir les yeux et de chercher une solution à son problème. Mais la raison n’avait pas réellement d’importance finalement. L’important, c’est qu’il cherchait une solution pour s’en sortir et mettre derrière lui sa maladie. Son alcoolisme lui bousillait sa vie en général, sa vie sociale et sa santé. Ses relations familiales s’étaient dégradées dès le moment où la bouteille de whisky était devenue sa plus fidèle et meilleure amie. Une tentation qui avait déjà tenté Rayden, mais qui n’avait pas réussi à la séduire totalement. Elle s’était également dite qu’elle ne pouvait pas faire quelque chose qu’elle reprochait déjà à l’un des ainés. Même si la perceptive d’oublier sa souffrance quelques instants étaient plus que tentante. Mais le prix était trop élevé à payer, lorsqu’on voyait les dégâts que ça pouvait causer. Puis elle risque de perdre son droit d’exercer si elle cédait à ce vice. Rayden était consciente que son métier de médecin urgentiste était la seule chose qui la maintenait à flots et qui lui faisait se sentir en vie. Le risque était donc trop grand et il n’en valait pas le coup. Elle en tirerait que très peu de bénéfice. Elle apprendrait à vivre avec sa douleur. 

La demoiselle Whitmore aurait bien pris son frère dans ses bras pour la félicité de sa prise en main. Mais ce n’était pas le meilleur moment puisqu’il conduisait. « Non, je n’ai plus le même, j’ai changé. Même si je sais à quel point, tu l’adorais. » L’odeur de son précédent parfum, Devon ne l’appréciait pas. Il était également associée à de nombreux souvenirs. Elle ne voulait pas les oublier, mais elle ne voulait pas non plus se les remémorées chaque matin en le vaporisant. Elle avait donc fait le choix de modifier son choix de parfum pour rendre ses matinées plus simples. « Non, je n’en doute pas, c’est justement ce que je dis. Tu as toujours eu une conscience. Ouais, c’est que tu dis. Je sais que je te ratatine à Mortal Kombat sans que tu me laisses gagner. Tu as seulement du mal à admettre que je suis meilleure que toi. Les mecs, vous avez tout ce même problème. Vous ne supportez pas qu’une femme soit meilleure que vous. » C’est une chose que Rayden avait constatée plus d’une fois. En particulier, lorsqu’elle était dans l’armée, ce monde particulièrement masculin.

Chez Devon, alors qu’il choisissait chacun leur pizza, Rayden se remémorait un souvenir concernant Asher. Devon avait tout de suite compris dans quel état d’esprit se trouvait sa sœur ce soir. Il partageait avec elle à son tour un souvenir qui concernait Lexi et Andy. « J’aurais été aussi horrifié que Lexi, je crois. Mais Andy avait au moins le mérite d’expérimenter des choses. » Rayden faisait un petit sourire à son frère quand il lui dit qu’il avait testé et qu’il avait trouvé ça dégueulasse. Elle pouvait bien l’imaginer. Un silence, c’était posé avant que Devon le rompe. « Merci Devon. C’est gentil, je pense que je vais rester cette nuit. » D’ailleurs, celle-ci était déjà bien avancée. Une nuit blache a discuté etait même prévisible.

Après avoir commandé leur pizza, Devon prenait un air un peu plus grave qui n’avait rien de rassurant pour la demoiselle Whitmore. Elle connaissait que trop bien cette expression et elle ne l’aimait pas. Ca n’annonçait jamais quelque chose de bon. L’hésitation, qu’elle entendait dans la voix de Devon n’avait rien de rassurant non plus, tout comme ses mots. Rayden n’aimait pas le suspense qu’installait son grand frère. Ce qui allait lui dire sur Raven avait l’air assez sérieux. Qu’est-ce qui se passait encore ? Elle craignait le pire. Avait-elle raison de s’inquieter ? « Qu’est-ce qu’il ne va pas me plaire à propos de Raven ? Qu’est-ce qu’il a fait ? »