Il était une fois, trois frères

The Whitmore Brothers

«Notre famille n’est pas parfait mais elle est unie.»

Eté 2006

@Raven Whitmore. Encore quelques dribbles. Petit coup de joystick sur la gauche. Hop ! Un tout droit. Hop. La victoire est à portée. Tir et Buuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut ! Pouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu ! m’exclamai-je en pointant mon index victorieux vers le haut, l’autre main déjà encombrée de la manette. Je t’observe avec cet air fier et narcissique que tu détestes tant. Petite danse de la victoire de la tête, le tout agrémenté d’une petite moue victorieuse, la totale pour te faire rager comme un porc. Malheureusement, je ne peux pas savourer ma victoire plus longtemps puisque mon téléphone vibre au fond de ma poche. Je dépose la manette sur la moquette pour répondre. Tiens c’est maman. Je t’abandonne deux minutes: Allo ? Ah salut M’man ! Ouai tranquille, on s’faisait une partie avec Rav’ ! Ouai. Oui bien sûr. Quand maintenant ? Okay. Et Riley et Rayden ? Ah ok. On s’y met. A plus M’man ! Je raccroche et le glisse de nouveau dans ma poche. Eteins la play et froque-toi, faut qu’on bouge. Maman est coincée au boulot. Faut qu’on emmène le p’tit Bro' pour ses chaussures. Je vais à mon armoire choper un jean et un tee-shirt que j’enfile rapidement. Je rabats mes cheveux et les noue avec un petit élastique. Un petit coup de parfum avant de sortir de ma piaule pour rejoindre celle du petiot.

@Doyle Whitmore Je toque deux fois avant d’entrer : Hey p’tite tête, pose tes crayons, on doit y aller. Je me dirige vers ton armoire pour y piocher un jogging, un tee-shirt et des chaussettes. Maman ne peut pas se libérer du travail, c’est nous qui allons t’accompagner pour acheter tes baskets pour l’école. Tu viens ? dis-je en te faisant un signe de venir près de moi pour que je puisse t’habiller.

(c) princessecapricieuse

Eté 2006

J'ai 6 ans. C'est apparemment pas assez pour jouer à la console, en tout cas, c'est ce que maman raconte. Elle dit que c'est pour les grands, qu'ils jouent à des jeux qu'il vaut mieux que je ne regarde pas. Elle dit que plus tard, peut-être, je pourrai y jouer. Alors pendant que Devon et Raven jouent à la console ensemble, dans la chambre de Devon, moi je suis dans la mienne en train de travailler sur un projet top secret.
J'ai récupéré du gros carton, près des poubelles, et j'ai découpé ma création à l'intérieur. Puisque je ne peux pas avoir de console, et bien, je m'en bricole une. Par moment, j'observe le plan que j'ai gribouillé sur une feuille, à côté, avec des légendes en grosses capitales et des fautes d'orthographes et des flèches et couleurs différentes. Je l'observe avec beaucoup d'attention, étudiant mes notes comme si elles étaient claires et essentielles à la compréhension de mon bricolage en carton. Mais dans ma tête, à ce moment précis, je suis un véritable génie. J'ai même pensé à bricoler un mécanisme à base de ficelles et de molettes -des vieux bouchons de liège- à tourner.
D'un air satisfait, j'observe ma création. Il ne me reste plus qu'à dessiner quelques décors pour illustrer le jeu que je m'invente. Je sors une feuille pour m'y mettre maintenant, repoussant avec précaution la précieuse console en carton.

Je ne sais pas pendant combien de temps je reste concentré sur ma feuille, à dessiner et colorier mais bientôt j'entends toquer deux fois à ma porte et je tourne la tête pour découvrir ton visage, Devon. J'écarquille les yeux, espérant un instant que tu m'invites à vous rejoindre.

— Hey p’tite tête, pose tes crayons, on doit y aller.

Oh. Je suis déçu. Je soupire doucement en délaissant tout de même mon dessin après un regard critique dessus, comme si du haut de mes 6 ans, j'étais capable de juger ce qui était bon ou médiocre. Toi, tu rejoins l'armoire de ma chambre pour en sortir des vêtements, ce qui sonne le glas de ma journée pyjama. Tant pis.

Maman ne peut pas se libérer du travail, c’est nous qui allons t’accompagner pour acheter tes baskets pour l’école. Tu viens ?

Je fais une petite moue déçue de devoir abandonner mon dessin mais mon visage se fend finalement d'un large sourire : moi, tout seul avec mes grands-frères. Vous, avec moi et rien que pour moi. Je suis ravi finalement. Je range soigneusement mon crayon dans le pot d'où je l'ai pioché et saute de ma chaise pour délaisser mon travail et te rejoindre. Néanmoins, il me semble important de te préciser avec un peu de fierté, comme l'enfant de 6 ans que je suis que :

— Je sais m'habiller tout seul, d'abord, regarde !

Et joignant le geste à la parole, je me débarrasse de mon pyjama, ébouriffant mes cheveux au passage en retirant mon haut. Puis j'enfile chaque pièce en te regardant en souriant de fierté.

Je balance la manette dans le canapé pendant que Devon entame la légendaire danse de la victoire et je me contente de juger le jeu en disant tout simplement que « c'est de la merde », grande variante du célèbre mais non moins efficace : « la manette marchait pas »... Je hausse des épaules, comme si j'en avais rien à foutre alors qu'on sait tous les deux qu'à la prochaine game, j'essayerai à nouveau de lui donner une bonne leçon ! Je m'entraînerai sur le jeu quand il ne sera pas là, ah ah ah ! S'il croit que je vais abandonner sur une défaite, il se gourre ! Je pousse Devon en ajoutant avec mauvaise foi qu'il a juste eu beaucoup de chance. Je ricane et tiens mon épaule en surjouant :
▬ Je crois que j'avais encore une petite courbature d'hier...

Mais soudain, Devon s'arrête pour prendre son téléphone. Ah non, pas ce maudit téléphone. Je me laisse retomber dans le canapé en soupirant, un peu jaloux de cet appel qui vient grignoter de notre temps.
▬ Allo ? Ah salut M’man ! Ouai tranquille, on s’faisait une partie avec Rav’ ! Je lève les yeux au ciel en imaginant qu'elle va encore tenir la jambe deux heures... Bla bla blaaaa... Ouai. Oui bien sûr. Quand maintenant ? Okay. Et Riley et Rayden ? Ah ok. On s’y met. A plus M’man !

Je tourne un regard curieux dans la direction de Dev. On s'y met de quoi ? Parce que je me suis déjà chargé de faire le frigo et le four la semaine dernière, j'en ai marre moi de participer au ménage de la maison. Je vis pas dans le four moi, putain.
▬ Eteins la play et froque-toi, faut qu’on bouge. Maman est coincée au boulot. Faut qu’on emmène le p’tit Bro' pour ses chaussures.
▬ Oh nooooooooooooooooon ! Pas le temps de me plaindre que Devon est déjà en train de se préparer. Moi il va me falloir plus que trois secondes, je me lève d'un bond et vais dans ma chambre pour choisir ce que je vais mettre. Je fais défiler méticuleusement mes différents maillots et opte pour un t-shirt « trop petit » selon papa, parfaitement ajusté je dirais, avec un dragon dans le dos. Je me coiffe avec soin et sors quand je m'estime prêt, sans avoir mis trois heures non-plus... Je déboule alors que Doyle termine de s'habiller.
▬ Tu pourras me prendre une carte en même temps, Dev ? J'ai plus de crédit et maman m'a dit qu'elle me remettrait 10 dollars la semaine prochaine mais j'ai des appels à passer et elle veut pas que j'appelle de la maison sur des portables parce que « ça coute très cher », dis-je en l'imitant sur la fin. Et si on peut aussi s'arrêter trois secondes à la piscine ? Faut que je donne un truc à quelqu'un. Je jette une oeillade à Doyle : Il va pas prendre deux heures pour des pompes de toutes façons, pas vrai ptit prout ?

Il était une fois, trois frères

The Whitmore Brothers

«Notre famille n’est pas parfait mais elle est unie.»

@Raven Whitmore.

Tu fais ton gros rageux et la manette vient s’écraser dans le canapé pendant que je remue mon cul plus victorieux que jamais : C’est de la merde… Je me fige et te fixe avec un air à la fois moqueur et triomphant avant de t’octroyer un petit coup gentil du poing sur l’épaule.

Je crois que j'avais encore une petite courbature d'hier... Tes excuses de merde me tordent de rire. Vous savez, ce rire insolent, provocateur et insupportable du gagnant prétentieux.

Alors arrête la branlette mon vieux. ! Et... mon téléphone vibre et me coupe dans l’élan de la connerie qui allait traverser mes lèvres. C’est maman. Je reprends mon sérieux puis décroche. Ne pouvant se libérer au travail, elle nous confie la mission de trouver une paire de pompes au petiot. Je peux te voir râler pendant que la Madre me donne les instructions. Finies les conneries. Et comme un mec atteint de troubles bipolaires, je laisse le guignol qui dort en moi de côté pour prendre mes responsabilités d'aîné. Forcément, tu râles de nouveau quand on doit mettre notre partie de play en suspens. Il me faut à peine deux minutes pour me froquer et m’arranger la gueule. Pendant que tu te remets de tes émotions, je suis déjà fourré dans la chambre du cadet pour le préparer.

@Doyle Whitmore

Sous les ordres de maman, je viens écourter ton chef d’œuvre pour t’annoncer le programme. Une lippe toute fine gonfle tes petites lèvres déçues de devoir courber l’échine. Or, très vite, le ravissement vient illuminer ta p’tite bouille d’angelot. Tu libères ta main créatrice de son crayon en le rangeant avec soin dans ton pot avant de te précipiter vers moi. Puis, tu me montres avec une grande fierté que tu sais t’habiller tout seul en te débarrassant de ton pyjama Spider-Man pour enfiler les fringues. Je te dévisage avec un sourire amusé : C’est bien mon grand ! Mais ne soit pas trop pressé de grandir ! Tu veux que je te confie un secret ? te chuchotai-je en camouflant ma bouche avec le dos de ma main tandis que Rav s’amène en me dressant une liste faramineuse de services. J’arque un sourcil à mesure que ce dernier exprime ses demandes. Du coup, j'ai oublié ce fameux secret. Tant pis ! Je me tourne instinctivement vers notre frangin et le fixe avec agacement.

T’as cru j’étais ton taxi ? Tu pouvais pas bouger ton uc’ dans la semaine non ? C’est maintenant qu’on a des trucs à faire que tu veux faire le tour de la ville toi ? Je hausse les épaules, croise les bras puis le dévisages sceptique avant que mes yeux s'écarquillent telles des soucoupes, tes sérieux là ? t’as déjà cramé ton forfait ?! Maman a raison ! c’est pas donné. Puis, t’appelles qui d’abord ? Le téléphone rose ? Silence, voyant son air suppliant je finis par céder. Je lève mon index en guise d’avertissement, j’te file vingt dollars, pas un sous de plus ! mais t’arrête de faire chier Maman avec ça. N'oublie pas que les parents paient les factures, alors évite d'abuser !

Je jette un regard malicieux au petit cadet, tu sais quoi moucheron ? après les magasins, j’t’emmène à la piscine. Raven m'a dit qu’il voulait t’apprendre à nager. Pas vrai Rav'? dis-je en fixant ce dernier avec insistance, le sourire narquois pendu aux lèvres. S'il espère que je fasse le garçon de courses, va falloir qu'il courbe l'échine lui aussi !

(c) princessecapricieuse

Il était une fois, trois frères - The Whitmore Brothers