en silence || Dimitri

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

Je me suis endormi à un moment donné, peut-être était-ce hier, peut-être était-ce il y a deux jours. Mon bras tendu au-dessus des larmes salées se laisse guider par la faible force du vent. Le goût métallique du sang sous mon nez, contre ma bouche me semble fictif. Le soleil est en train de se lever et je marche dans le sable, les chaussures dans ma main gauche. J'ai choisi d'ignorer l'heure et d'ignorer la fatigue. Une bouteille demeure presque pleine dans ma poche de veste et j'entends le bruit d'une vague unique contre mon abdomen, triste et morne.

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

Quelques passants traversent le paysage et je me contente d'abandonner le contact visuel avec eux. Je ne cherche plus rien désormais, je n'attends plus rien et je me contente de chaque seconde qui passe encore. Mon genou ne me fait plus mal en dépit de l'énorme bleu qui s'y trouve, mes doigts ne me font plus mal en dépit des marques contre mes phalanges, mes côtes ne me font plus mal en dépit des fêlures. Je sens les grains de sable qui passent entre mes orteils nus et j'écoute le bruit des vagues. Il ressemble au silence du petit lac où Devon se rendait parfois, c'est un chuchotis marin, c'est un silence qui n'en est pas un, un bruit qui ne dit pas son nom.

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

En silence

Raven & Dimitri

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C’est dans le silence que j’ai choisi de vivre il y a quatre ans, c’est en silence qu’il me ronge depuis tout ce temps et c’est en silence que je mourrai lentement.

C’est avec les écouteurs lovés au creux de mes oreilles, les pieds plongés dans le sable et les mains échouées dans les poches de mon sweat que je marche le long de la plage. Le regard égaré au loin vers l’horizon crépusculaire, je songe. Le vent chérit mon visage de son souffle et je songe toujours. Je songe à mon avenir incertain, à un demain qui n’existera peut-être pas, peut-être plus. Je suis fatigué, affaibli, démuni face à ce putain de cancer qui me tue à petit feu. Le traitement ne donne aucun résultat concluant, et les anti-douleurs ne font plus effet. J’ai tellement mal que je ne sens presque plus la douleur. C’est ironique non ?

C’est dans le silence que j’ai choisi de vivre il y a quatre ans, c’est en silence qu’il me ronge depuis tout ce temps et c’est en silence que je mourrai lentement.

Je resserre les poings au fond de mes poches tandis que mon palpitant se resserre à la pensée que ce jour pourrait être le dernier. Ou pas. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je suis perdu. Je ne supportais plus les murs de mon appartement qui me rappellent à chaque instant que je suis en repos forcé, prisonnier de ma maladie. Je devais sortir, prendre l’air, tant que je le peux encore.

C’est dans le silence que j’ai choisi de vivre il y a quatre ans, c’est en silence qu’il me ronge depuis tout ce temps et c’est en silence que tu apparais errant tel un zombie en perdition. Plus je me rapproche et plus ton visage accablé et ensanglanté peint un tableau pas très reluisant. Je m’arrête un instant, fronçant les sourcils, ne sachant pas si les médocs ne me donneraient pas encore des hallus. Ça ne serait pas la première fois. Je t’observe de la tête au pied. Tu es maigre. T’as une sale gueule. Tu as le regard vide, ce même regard qu’a un homme qui attend patiemment que la Mort l’emporte avec elle. Je mords l’intérieur de ma joue, hésitant un moment, puis je finis par te rejoindre, les pieds épousant désormais la douceur humide de l’eau.

Hey gros…tout va bien ?

(c) princessecapricieuse

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

Je me retourne, surpris par l’apparition d'un gars non-loin de moi. Je fronce les sourcils pour contrer un rayon de soleil qui me chatouille maladroitement les pupilles. Devon, c'est toi ? Je passe la main sous mon nez, à la manière d'un gamin qui frotte son nez au lieu de le moucher, je réalise pas que mes narines ont encore décidé d'abandonner. Je ne ressens tellement pas la douleur qu'elle ne m'abîme pas, je n'ai jamais mal. Je suis à côté, toujours à côté de la douleur, de la souffrance, des bleus, des ça lance, des ça pique, des ça brûle. Je ne traîne pas de poids quand je survole la ville, quand je survole tout. Je passe la main sur ma cage thoracique, je voudrais pouvoir allonger ces moments de grâce.

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

Je m'approche de toi, tu n'as même pas l'air fâché. Ça y est, nous sommes réconciliés, c'est bien ça ? Un sourire conquis s'affiche sur mes traits, je tends les doigts vers un écouteur demeuré logé dans ton oreille puis retiens mon geste, redoutant qu'il t'apparaisse comme une agression. Je regarde mes doigts et réalise soudain l'état dans lequel ils sont. C'est étrange, je louche un peu, tournant ma main dans un sens puis dans l'autre, essayant de comprendre ce tour de passe-passe incroyable. Ma main tourne dans le vide, dans un sens, puis l'autre, mes doigts se pliant et dépliant sans harmonie. Je ne comprends pas ma main, je ne comprends pas mes doigts. Mes yeux exorbités ne comprennent rien, ils ne voient pas ce qu'il faut voir, ou est-ce que les événements arrivent sans que j'en sois conscient ? Est-ce que je ne suis pas en train de phaser dans le temps ?

Les pieds dans l'eau, le sourire des vagues qui s'étend à perte de vue.

Traverser les secondes en claquant des doigts et subir les affres du temps comme un combat qui n'a pas eu lieu, comme un combat déjà terminé ? Finalement, ma main se pose contre ton torse alors que l'autre passe contre mes lèvres, je soupire lourdement. Mes pas sont lents, mes mouvements aussi, je suis à demi anesthésié, je n'ai pas encore exactement la force de dire tout ce que je veux te dire. Je détourne le regard de tes traits encore flous et balance la tête en arrière. Ne sachant pas dans quel état sortent mes mots, je marmonne quand même à son intention :
▬ Oh Devon, t'es vnu... T'as raison, d'être venu. On est bien là, je viens souvent ici maintenant, j'aime marcher ici. J'aime m'abandonner ici, et toi, pourquoi tu es là ?

En silence

Raven & Dimitri

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Tu fais aussitôt volte-face, mais tu ne sembles pas très stable sur tes guiboles. Ton regard ploie sous la lueur aveuglante du Soleil qui t’agresse en plein visage. Tu ne peux pas encore me voir, mais moi je te vois. T’es pâle, cerné, le visage creusé sans compter ton nez qui pisse le sang. T’as une sale gueule. Tu ramènes ta main sur ta cage thoracique comme je fais quand je peine à respirer et que je dois m’atteler à un effort imminent, puis tu te rapproches de moi, la démarche peu assurée. T’as l’air complètement à l’Ouest. T’es bourré ou quoi ? Je ne bouge pas mais fronce légèrement les sourcils et te fixant sur la défensive. Ta main s’avance plus près comme pour aller s’emparer d’un de mes écouteurs, tandis que mon regard méfiant se durcit davantage, quand heureusement tu te ravises. Mais, tu commences remuer ta quintuplé puis tes doigts comme si tu n’avais plus aucun contrôle sur ton corps. Putain, mais tu carburer à quoi ? je devrais avoir peur, parce que grand Dieu, tu fais sérieusement flipper ! mais au lieu de ça, tu me fais pitié. Qu’est-ce qu’il a bien pu t’arriver pour que tu tombes aussi bas, car oui, là c’est ce que j’appelle toucher le fond.

Finalement tu me prends par surprise en venant plaquer ta main contre mon torse et m'octroie ainsi une brève douleur. Je te dévisage, grimaçant légèrement, les yeux écarquillés avec une certaine appréhension : Oh Devon, t'es vnu.... Je te dévisage à la fois stupéfait par ton geste et peinée par ton état misérable. Lentement, je pose une main sur la tienne et te saisis doucement poignet pour te faire gentiment comprendre que ce contact était de trop : Désolé mais…je ne suis pas Devon. répondis-je en éloignant doucement ta main avant de la lâcher. Mon regard examine de plus près ton visage pitoyable. Je cherche au fond des poches de mon jeans et en sors un vieux mouchoir en tissu jamais utilisé puis vient le place sous ton nez pour stopper le sang qui s’y écoule : Moi c’est Dimitri. Je te laisse ensuite gérer les dégâts sur ton visage et je recule d’un pas.

Putain…il t’es arrivé quoi ?

(c) princessecapricieuse