À chaque fois que Rayden racontait son parcours professionnel, elle voyait souvent de la surprise sur le visage de ses interlocuteurs. Apparemment, au premier abord, lorsqu’on la voyait, on ne pensait pas qu’elle avait fait partie des rangs de l’armée. Pourtant, c’était le cas. Leur réaction amusait la demoiselle Whitmore. Elle prouvait également qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. L’évocation d’un arrêt forcé et d’une coupure de cinq ans évoquaient naturellement des questions. Si Rayden refusait catégoriquement de parler ces éléments, elle aurait gardé sous silence ses détails. Elle aurait simplement dit que ces années de service étaient finies et qu’elle était retournée à une simple vie de civil. Enfin, il fallait vite le dire, rien n’était simple pour la jeune femme. Peu importe le point de vue, elle rencontrait des difficultés un peu partout et le trophée revenait à l’aspect familial. La famille Whitmore avait de nombreuses choses à faire avant que leur fratrie retrouve un semblant de normalité et de cordialités. Ce n’était pas gagner. Mais ce n’est pas de cela dont Rayden et Erika parlaient et fort heureusement. « J’ai été prise dans une explosion. J’ai eu de nombreux éclats dans le dos. J’ai frôlé de peu une paralysie et j’ai eu de longs mois de convalescence. D’où l’arrêt forcé. Aujourd’hui, oui, je travaille à l’hôpital. » En revenant d’Afghanistan, la demoiselle Whitmore était incapable d’en parler. Avec les années, sa langue s’était doucement déliée. En parler l’aider en partie à combattre son stress post-traumatique. Ce n’était qu’une étape et ça ne réglerait pas son problème, mais c’était déjà ça. Comme on dit une bataille à la fois.

Erika s’appliquait à sa tâche. Elle ravivait les couleurs de l’un des premiers tatouages de Rayden qu’elle trouvait terni par les effets du temps. Avant de poser son dermographe sur l’une des cicatrices de la cliente, la tatoueuse l’informait que ça pouvait être un peu plus sensible. La demoiselle Whitmore était ravie par l’attention et la considération d’Erika. Les deux femmes parlaient des cicatrices, de celle qu’elles avaient respectivement sur elle, gravaient dans leur peau. Un sujet pas très réjouissant et qui laissait présumé des souffrances et de la douleur. Mais apparemment, elle se retrouvait toutes les deux dans ces marques. Rayden voulait cacher la cicatrice liée à l’explosion. Elle voulait la camoufler ou l’intégré à un tatouage. Cette cicatrice marquera à jamais son corps et son esprit. Mais elle voulait que de cette souffrance naisse quelque chose de nouveau et de beau. Rayden avait demandé à Riley de lui dessiner quelque chose qui prenait la forme de sa cicatrice. Après quelques essais de dessin et une conversation, il en était sorti un rosier que la jeune femme avait adoré. Elle avait été touchée que son jeune frère l’aide avec cette décision et qu’il participe à la création. Ça donnait espoir à Rayden dans la réconciliation de la fratrie. Elle arrivait à s’entendre avec chacun de ses frères individuellement. Malheureusement, quand ils se retrouvaient tous les cinq dans la même pièce, tout était différent et les conflits renaissaient, tel un phœnix de ses cendres… En évoquant, une cicatrice plus imposante, Erika proposait à Rayden de la voir pour pouvoir lui offrir une réponse à sa question. Elle se doutait, que c’était une demande peu commune et peut-être même qu’elle trouverait étrange. D’ailleurs, elle ne se semblait pas comprendre, pourquoi la demoiselle Whitmore voulait dissimuler une cicatrice sous un tatouage. « J’y ai beaucoup réfléchis, depuis des années pour dire vrai. Je pense que pour moi, ça serait une façon de tourner une page douloureuse. Puis le choix du tatouage est symbolique et l’auteur du dessin est une personne très importante pour moi. » Elle marquait une pause avant d’ajouter. « Je vous montrerais la cicatrice peut-être après, quand vous aurez fini. Il faut que je retire mon haut pour vous la dévoiler. »

La vie n’est pas tendre. Rayden était bien placée pour le savoir, malheureusement. Lorsqu’elle pensait que le pire était passé et que c’était derrière elle, la vie, lui montrait qu’elle se trompait. Il y avait toujours quelques choses de pires, quelques choses de plus douloureux. On tombait à nouveau alors qu’on pensait avoir déjà touché le fond. On finissait par comprendre que le trou n’avait pas de fond et qu’on continuait seulement de creuser sans même s’en apercevoir. On surmontait les épreuves, mais non sans difficulté. Comme dans un jeu vidéo plus on avançait et plus la vie était dure, compliqué même à supporter. Les idées noires étaient de plus en plus nombreuses dans l’esprit de la jeune femme. Mais elle luttait pour les enfouir dans une coin de sa tête pour tenter de les oublier et de les bannir de ses pensées.

Erika disait qu’il ne fallait pas regarder en arrière et continuer à avancer. C’était bien le problème de Rayden, elle était hantée par les fantômes du passé. Parfois, elle se demandait même si les fantômes n’existaient pas réellement, s’il n’était pas qu’une simple métaphore, mais bien plus. Il n’y avait pas un jour où la demoiselle Whitmore ne pensait pas à l’Afghanistan ou à Asher. Ces deux éléments appartenaient à deux histoires différentes et pourtant ce vécu et cette perte l’avait détruite de la même manière. Au point, qu’elle pensait qu’elle ne s’en relèverait jamais. Aujourd’hui, Rayden parvenait seulement à masquer toute cette souffrance et tout son mal-être derrière son travail. En exerçant son métier, la blonde y mettait tout son temps, son énergie et son esprit. Elle ne voulait pas se laisser l’occasion de sombrer à l’hôpital. Elle avait perdu le contrôle une fois et elle était bien déterminée à ce que ça ne se reproduise plus jamais. Rayden sourit à Erika en se contentant de lui répondre. « Vous avez raison. »

La conversation menait au nouveau tatouage que Rayden souhaitait faire. Ça rejoignait ce que disait la tatoueuse précédemment. Ce tatouage représentait un renouveau, une renaissance pour la demoiselle Whitmore. C’était une façon pour elle de tourner la page et d’écrire une nouvelle histoire, même si ce n’était pas une mince affaire. Rayden ignorait même si elle était prête à prendre le risque d’avancer de nouveau. Si elle s’autorisait à avoir de nouvelles personnelles dans sa vie. Même sur le point de vue amical, c’était compliqué. Elle avait perdu tellement de personnes. Elle avait également perdu sa famille, ils n’étaient pas morts, mais à certains moments, c’était tout comme. Rayden évoquait le dessin que Riley avait fait pour elle, le dessin qui sera son prochain tatouage. D’ailleurs, Erika demandait à le voir. « Oui bien sûr. Il est dans mon sac, mais j’ai une photo sur mon téléphone. » La jeune femme cherchait la photo rapidement dans son téléphone portable avant de le montrer à Erika. Elle lui présentait le fameux rosier. « Ma cicatrice serait la tige. Il s’est basé des marques pour réaliser le dessin. »

Erika se demandait si Rayden se montrait d’accord avec elle uniquement pour lui faire plaisir ou si elle partageait réellement cet avis. Si la tatoueuse connaissait mieux sa cliente, elle ne se poserait pas la question. Chaque jour, la demoiselle Whitmore se battait pour aller de l’avant. Elle se battait pour elle, pour aller mieux. Mais le parcours était long, complexe et tortueux. Rayden ne se battait pas uniquement pour elle, mais également pour sa famille, ses frères, ses aînés. Elle se battait aussi pour eux pour qu’ils sortent des chemins tumultueux et sinueux qu’ils avaient décidé d’emprunter. Ils avaient choisi la facilité, d’anesthésier et d’étouffer leurs sentiments et leurs émotions, l’espace d’un instant. Des instants qu’ils tentaient et qu’ils avaient choisi sans cesse de multiplier. Rayden tentait de se montrer forte, même si ce n’était pas toujours évident. Même s’il lui arrivait souvent de craquer. « Non, je suis totalement d’accord avec vous. C’est seulement que vous avez déjà tout dit, je n’ai rien de plus à ajouter. »

Alors que la tatoueuse s’appliquait à raviver les couleurs d’un ancien tatouage, Rayden la questionnait sur la création d’un nouveau. C’est une envie que l’animait depuis un moment maintenant. Elle avait travaillé pendant des jours avec Rayden pour trouver l’idée et le motif parfait. Elle voulait se servir des marques de l’explosion, de sa cicatrice, pour créer quelque chose d’autre. Un symbole de renaissance pour elle. Avant de donner une réponse, Erika était curieuse de voir le dessin que l’urgentiste voulait réaliser. Elle trouvait assez rapidement la photo du dessin sur son téléphone portable qu’elle tendait à l’artiste. « Non, ce n’est pas moi. Je n’ai pas la fibre artistique. Je dois cette merveille à mon petit frère. Riley a un réel talent. » Rayden était toujours en admiration face aux réalisations de son jeune frère. C’était le seul artiste de la famille et il était très doué dans son domaine. Rayden était plutôt fier de ses petits frères. Sur le dessin, on voyait bien la longueur et la largeur de la tige. Erika pouvait se faire une idée de l’importance de la cicatrice. « Vous pensez que ça peut être possible ? »

En venant à ce salon, Rayden avait un objectif bien précis. Elle voulait savoir ce que valait Erika. Elle lui avait donné pour mission de raviver l’un de ses plus anciens tatouages. Il s’était décoloré avec le temps et les années. En fonction du résultat concernant la restauration d’un tatouage qui n’était pas d’elle, la demoiselle Whitmore déciderait, si elle lui confirait ou non un autre projet. Le projet en question concernait un tatouage qui avait une taille assez imposante. Mais également qui avait une très grande importance pour elle. La personne qui gérerait ce tatouage n’aurait pas le droit à l’erreur. C’était une décision très sérieuse pour l’ex-militaire. Il s’agissait du signe d’un possible nouveau départ pour elle. Ce tatouage serait un symbole d’une renaissance. Ça permettrait peut-être à Rayden de tourner une page et d’enfin se ressaisir. La blonde avait bien conscience qu’un moment ou un autre, elle allait devoir reprendre sa vie en main. Simplement réapprendre à vivre, elle ne pouvait pas continuer à poursuivre ce chemin triste et sinueux. Un simple dessin gravé sur sa peau ne changerait pas grand-chose, mais c’était déjà au moins une petite ancre à laquelle elle pourrait se fier comme se raccrocher.

Rayden dévoilait à Erika le projet en question et le tatouage qu’elle désirait. L’urgentiste avait une idée bien précise sur laquelle elle avait travaillé avec l’aide précieuse de Riley. « Il est artiste. Il a un atelier en ville. Vous pensez que vous serez capable de reproduire ce dessin ? » C’était tout de même important. Rayden ne voulait pas quelque chose d’approximative. Elle souhaitait que ce soit le plus ressemblant possible au dessin, bien, qu’elle avait confiance qu’il ne serait pas totalement identique, ni aux millimètres près. Riley avait sa propre façon de dessiner et celle d’Erika était sûrement différente. Puis dessiner avec un crayon et un dermographe ce n’était pas pareil non plus. « J’ai conscience que c’est un travail qui sera long et qui nécessitera plusieurs séances. Si vous me disiez le contraire, j’aurais trouvé ça étrange. J’ai pensé à vous pour cette tâche, c’est pour cette raison que je vous en parle. » Si Erika acceptait cette mission, les deux femmes seraient amenées à passer par mal de temps ensemble. « Je vous montrerais après la cicatrice en question. » Une cicatrice que la demoiselle Whitmore avait toujours pris grand soin de cacher sous des vêtements qui ne dévoilaient jamais son dos. À cause de cette cicatrice, la jeune femme ne se rendait plus à la piscine ou à plage. Elle détestait que tous les regards, soient posés sur elle. Elle détestait que les gens chuchotent pour tenter de deviner ce qui lui était arrivé. Des théories qui étaient souvent bien loin de la réalité. Une réalité que Rayden aimerait oublier. Si seulement, elle pouvait supprimer de son esprit certaines choses, sa vie serait tellement plus simple. Mais elle savait aussi que sans ses événements, elle serait une femme différente. Ça ne serait peut-être pas plus mal.