Une catastrophe en éloigne certains et en rapproche d'autres
Lilly & Doyle
Je fronce légèrement les sourcils au contact de ta main sur la mienne et j'ai bien du mal à ne pas retirer cette dernière pour échapper à ce contact inattendu. Mais je crois, à vrai dire, qu'entre la surprise de ce geste tactile et ton regard plein de compassion, je ne sais pas ce qui m'étonne le plus. Je reste là, à fixer ta main, tes doigts fins qui étreignent les miens alors que je t'écoute compatir à quelque chose que je n'ai pas vraiment révélé mais que tu as déduit. Désolée ? Pourquoi serais-tu désolée ? Je lève un regard aussi interrogatif que circonspect, pour croiser le tien, abandonnant de fait ma main inerte à la tienne.
— ...utiliser la solitude comme bouclier pour te protéger des autres… tu as dû beaucoup souffrir par le passé… dis-tu, d'une voix douce et compatissante, en penchant légèrement la tête sur le côté, comme si, brièvement, tu arrivais à entrevoir le secret qui se cache entre les rainures d'un plancher. Serais-tu capable de voir ce que même ma propre famille n'a pas été capable de comprendre ?
Je déglutis. Je ne sais pas trop : est-ce que c'est à cause de ton regard, de mon état de convalescence ou bien cette façon que tu as de te montrer à la fois si intrusive et prévenante que le moniteur s'agite ? Je n'ai pas réalisé tout de suite, c'est seulement en suivant ton regard que je peux constater mes constantes cardiaques s'affoler sur l'oscilloscope. J'écarquille un peu les yeux en fronçant les sourcils : je n'ai jamais vraiment compris pourquoi ce genre de situation me mettait dans pareil état. Je me sens tendu, comme si mes membres devenaient du plomb, crispés par ces contacts physiques qui sont pourtant censés procurer une toute autre sensation. Je devine que tu fais toi-même le lien entre ma fréquence cardiaque et notre proximité puisque tu fuis subitement mon regard après une une expression coupable et confuse, relâchant alors ma main. Sans que je ne les contrôle, mes doigts se contractent, refermant et rouvrant ma main comme si j'en retrouvais subitement l'usage. Tu t'écartes légèrement, détournant toujours le regard et je prends une profonde inspiration en tâchant d'éviter de te fixer également.
— Excuse-moi Doyle…je ne voulais pas être aussi intrusive…— C'est rien. dis,je, peut-être un peu trop vite, comme si je préférais passer rapidement à autre chose, ou bien que l'on ne s'attarde pas trop sur ce que tu viens de provoquer chez moi d'un simple contact. Ne te méprends pas, Lilly, ça n'a rien de personnel. C'est quelque chose que j'ai du mal à gérer et qui échappe à mon contrôle, j'espère que tu ne t'en formaliseras pas parce que je ne t'en veux pas.
Et le voilà de nouveau, ce silence de plomb. Il ne m'avait pas particulièrement manqué celui-ci... Je te coule un regard discret, t'observe du coin de l'oeil et remarque à la manière que tu as de caresser ton propre bras que tu as un besoin tactile très importante pour te réconforter et je suppose que c'est aussi ta manière de dispenser ton réconfort aux autres. Je déglutis , me sentant un peu coupable de cette nouvelle douche froide que tu reçois, indépendante de ma volonté.
Et puis, s'en vient ce moment où j'essaye de te rassurer en te servant le
ça va aller qui régit un peu mon quotidien, qui sauve les apparences et qui, bien récité, finit par convaincre tout le monde même celui qui l'utilise. Tu me questionnes, incertaine de ce que je pense réellement alors, je cherche ton regard et décide d'être honnête.
— ... Un peu des deux. Le plus important, ce n'est pas que moi je le pense vraiment. Si tu arrives à t'en convaincre, alors... ça ira. dis-je en souriant légèrement, d'un air encourageant.
C'est... C'est une technique de développement personnel... Tu réponds à mon sourire et par miracle cet affreux silence pesant s'échappe de la pièce.
— Et elle marche cette technique ? Elle t’a souvent convaincu toi ou est-ce un combat que tu mènes encore aujourd’hui ?— A vrai dire, je... Je commence à formuler ma réponse mais elle meurt avant de franchir mes lèvres alors que mon regard se tourne brusquement vers toi : qu'est-ce que... ? Je te vois t'installer, adosser ton dos au dossier du lit et je te fixe, presque médusé. Je jette un coup d'oeil circulaire, comme si à tout moment, je m'attendais à ce qu'un de mes frères sorte de nulle part pour crier à la caméra cachée. Mais non. Tu fermes les yeux et je n'ose pas bouger. A peine respirer.
— Est-ce... que ça va ? je hasarde, en gardant l'oeil sur toi, inquiet que tu ne perdes connaissance, compte tenu de ton malaise de plus tôt.
— J’ai mal à la tête... réponds-tu, en posant une main sur ton front et je fronce immédiatement les sourcils, soucieux. Tu ouvres difficilement les paupières pour découvrir ma mine soucieuse en murmurant,
Je devrais y aller…je suis fatiguée… Que tu te lèves dans cet état ? Sûrement pas.
— Je vais appeler une infirmière, ne te lèves pas, tu pourrais... dis-je, tout en récupérant la télécommande sur ma chevet, mais quand je me retourne vers toi je te découvre les yeux de nouveau fermés. Les montagnes sur l'oscilloscope se rapprochent.
Lilly ?... Je me rapproche pour contrôler ta respiration. Avec délicatesse, j'écarte tes longs cheveux pour dégager ton cou et encore plus délicatement, mon index et mon majeur viennent chercher ton pouls. Soixante secondes durant lesquelles je compte tes pulsations cardiaques. C'est étrange, que dans le cadre de mon travail, ce genre de contact me semble naturel mais qu'au-delà du domaine médical, eh bien j'en sois incapable. Je pousse un soupire rassuré.
Tu t'es endormie. Tout simplement. Mais d'un sommeil de plomb et si vite que je me demande depuis combien de temps tu n'avais pas trouvé le sommeil. Tu devais en accumuler, de la fatigue. Je t'observe, retirant doucement mes doigts de ta peau. Il me semble sentir encore au bout de mes doigts les battements de ton coeur et je referme ma main comme s'il fallait que je me défasse de cette sensation qui habituellement ne me laisse pas tant... interrogatif.
Je t'observe, silencieux, intrigué : tu as l'air si paisible. Je renonce à appeler une infirmière qui pourrait bouleverser ton sommeil. Je renonce à l'idée de te réveiller moi-même, et par la même occasion, je renonce à mon confort et à mon propre sommeil puisque je compte veiller sur toi un moment, juste au cas où. Je me suis écarté légèrement, pour te laisser de la place mais aussi pour me sentir moins oppressé par ta proximité. En réalité, le fait que tu dormes m'aide un peu.
Je ne sais pas pendant combien de temps je reste là, à t'observer, mais suffisament pour ne pas sentir mes propres paupières tomber d'épuisement. Je crois que j'ai ouvert les yeux, à un moment, quand j'ai senti quelque chose de chaud se pelotonner contre moi, mais, trop épuisé, j'ai sombré de nouveau dans un sommeil lourd...
***
Je ne sais pas ce qui me réveille, ce matin. Est-ce que c'est cette sensation soudaine de froid alors qu'il y avait cette chaleur dans mes bras, cette nuit ? J'ouvre péniblement les yeux et constate le vide à côté de moi. Est-ce que j'ai rêvé ? Est-ce que j'ai imaginé ta présence ? Par sécurité, je regarde par-terre, craignant que tu ne sois tombée mais non. Te voilà volatilisée. Comme le rêve que je viens pourtant de faire mais qui s'est évanouie dès mon réveil.
Je me laisse retomber dans mon lit, les sourcils froncés, incertain : est-ce que j'ai halluciné, cette nuit. Je vais pour prendre mon téléphone et heurte un sachet en papier kraft. J'esquisse un sourire en découvrant les muffins à l'intérieur. Je n'ai pas rêvé. Je relève les yeux : je suppose que tu es repartie dans ta chambre, pendant la nuit.
Je prends mon téléphone et découvre un MMS à ton nom. J'arque un sourcil curieux et l'ouvre pour te découvrir en train de croquer dans un muffin, preuve que tu as respecté ta part du marché. Je souris. Au moins, tu as l'air d'aller mieux. J'hésite un instant et, prenant moi-même un muffin, j'en croque un morceau en te renvoyant ce selfie, l'accompagnant d'un petit mot :
Merci. Pour le muffin et pour avoir tenu parole... Envoyé.
Je soupire doucement en posant mon téléphone, observant le muffin que je tiens à la main. Je suppose qu'il devait être meilleur frais de la veille, pourtant, je me fais la réflexion qu'il a une saveur toute particulière, à ce moment précis...