Planté devant son immeuble, le regard perdu dans l’obscurité, je songe…va-t-elle me pardonner la lâcheté dont j’ai preuve ce matin à la radio ? Je ne m’attendais pas à ce que Kristian l’apprenne de cette manière, mais surtout, je n’étais pas prêt. L’affronter a été bien plus difficile que je ne l’imaginais. En plus de subir ses foudres, je me suis mangé une de cette patate, qui m’a laissé une belle entaille au niveau de l’arcade. Heureusement, Barbara n’a pas assisté à ça…vu l’état dans lequel elle était quand je l’ai laissée avec Kristian. D’ailleurs, je me demande comment a tourné leur conversation. Je les ai laissés tous les deux, ils avaient beaucoup à se dire. Il y a juste une chose qui m’inquiète, Kris est très gentil mais il ne vaut mieux pas le croiser lorsqu’il est en colère. J’espère qu’il n’a pas été trop dur avec elle. Dans tous les cas, il lui pardonnera, c’est sa sœur. En revanche, en ce qui me concerne, ça me fait mal de l’admettre mais tout est fini. J’ai perdu mon meilleur ami.

Ça fait mal, aussi mal que lorsqu’on m’a annoncé que j’avais un cancer. Tu te dis qu’il ne te reste plus rien que ce vide intersidéral. Tout ton monde s’écroule, tu te retrouves seul, sans personne. Tu t’effondres et ta seule réaction est de chialer comme un gamin cette perte brutale. Peu importe qui est autour de toi, tu es complètement déconnecté, déboussolé, comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton « off ». Voilà comment j’étais ce matin quand Barbara a essayé de me consoler. Un vrai zombie. Je l’ai complètement ignorée, comme si elle n’était plus qu’une étrangère. Le pire dans tout ça, c’est que je ne contrôlais pas ce que je ressentais, je n’étais plus maître de moi. Je m’en veux tellement. Je revois encore son visage triste, les yeux rougis par les pleurs. Elle doit probablement m’en vouloir...Je n’ai pas cessé de penser à elle depuis ce matin. Je n’ai pas osé venir à sa rencontre tant que Kristian était dans les parages. J’ai même fui le studio plus tôt après qu’il m’ait envoyé une beigne. Jamais de toute ma vie, je n’aurais cru qu’il lèverait la main sur moi…

Me voilà, face à son bâtiment, le cœur battant, la gorge nouée, redoutant plus que tout, la réaction de Barbara. Je prends une profonde inspiration ainsi que mon courage à deux mains et m’engouffre à l’intérieur. J’arrive à sa porte. Mon cœur bat la chamade, au point d’en déchirer ma cage thoracique. Putain…je vais crever…Non. J’exagère biensûr. Mais pour une fois depuis bien longtemps, j’ai peur…je ne veux pas perdre la femme que j'aime, mon seul et réel havre de paix, celle qui me fait sentir vivant. Hésitant encore un moment avant de peut-être me faire envoyer bouler, je me décide à toquer à sa porte. J’entends des pas s’amener à moi…Je retiens mon souffle. La porte s’ouvre.

La porte s'ouvre et quelle déception lorsque Sam se présente à moi avec un de ses petits commentaires habituels. Elle ne peut vraiment pas s'en empêcher, c'est plus fort qu'elle. Ma récente cicatrices sourcilière ne lui passe pas inaperçu. Elle m'interroge. Je prends une petite inspiration et soupire.
Une simple chute. Rien d'important. Je suis assez froid et distant avec elle. Je n'oublie pas que James et elle n'ont pas cessé de me foutre des bâtons dans les roues pour envenimer les choses avec Barbara.

Avant que je n'entre, elle m'avertit que Barbara est très en colère, mais sa manière d'insister sur ma culpabilité me gave. Mon coeur se serre davantage. Je serre fort les mâchoires et prends énormément sur moi pour ne pas l'envoyer bouler. Je ne relève pas. Elle me salue et prend la porte tout en ajoutant :

Si tu as besoin de réconfort tu sais où me trouver.

Je me fige et me retourne pour lui jeter un coup d'oeil. Sérieusement ? Et ça se dit la meilleure de Barbara. Pff laissez-moi rire ! Mieux vaut éviter de lui dire.

Ouai, c'est ça...j'y manquerais pas...

Elle ferme la porte derrière elle. Je passe le couloir et entre dans son salon. Elle est là...plus belle que jamais, assise près de la fenêtre, écouteur sur les oreilles, le regard perdu dans le vide. Putain...qu''est-ce que j'ai fait ? Mon coeur palpite. Je ne sais pas du tout quel sera son état d'esprit en me voyant ici. Je ferme doucement les yeux, prenant une profonde inspiration pour calmer mon pouls qui s'était emballé. Je me rapproche d'elle, puis, hésitant quelque peu, je pose doucement ma main sur son épaule. Mon corps s'électrise à ce contact. Si seulement je pouvais l'enlacer tout contre moi, mais je ne voudrais pas l'effrayer.

Elle sursaute aussitôt à mon contact, se lève en trombe et me fait volte-face, la main sur la poitrine lâchant un :Ouhh…tu m’as fait peur !

Le souffle court, elle me dévisage et pose instinctivement sa main sur mon arcade blessée m’interrogeant sur ce qu’il a bien pu se passer. Mais, avant que je réponde quoique ce soit, elle se ravise, prétextant ne pas vouloir savoir. Je me mords l’intérieur de la joue. Le ton glacial, la distance et l’attitude désinvolte à mon égard me touchent. Je passe ma langue sur mes lèvres pour les humidifier et fuis son regard en me focalisant sur ce qui se passe à l’extérieur de la fenêtre. Je laisse échapper un profond soupire.

Si tu veux tout savoir, t’as qu’à demander à ton frère, soufflai-je avec froideur. « Ton frère ai-je dit, sans l’appeler par son prénom. Tout est de sa faute, lui et son attitude de frangin superprotecteur. Mon cul ouai ! A cause de lui, j’ai mal agit envers elle, par peur d’envenimer les choses.

Mon regard vient s’ancrer à nouveau dans le sien. Elle me toise avec colère en ramassant les écouteurs qu’elle avait fait tomber quelques instants plus tôt. Elle me balance d’un ton sec une phrase bien cinglante : Qu’est-ce que tu fiches ici ?

Je passe ma langue sur mes dents de devant tout en gardant ma bouche fermée. Un excellent moyen de contenir l’agacement qui m’anime en ce moment même. Je n’ai qu’une envie, la prendre dans mes bras, la serrer, l’embrasser mais bordel je ne peux pas m’y résoudre parce que son putain de frangin, censé être mon meilleur ami, est un gros con de première ! Je force tout de même le contact, et m’avance emprisonnant sa main dans les miennes.

Je suis venu voir comment tu allais, vu que les choses ne se sont pas déroulées comme on l’espérait ! Et…tu n’avais pas l’air très bien… Mais avant qu’elle n’ôte sa main, je resserre mon étreinte, l’empêchant ainsi de se libérer de mon emprise et m’empresse d’ajouter.

Je suis désolé d’être parti comme ça. J’ai pensé que vous aviez des choses à régler tous les deux. Nos visages s’effleurant presque, je peux sentir son souffle sur ma joue. Je lâche sa main et emprisonne cette fois-ci son visage, la forçant à me regarder.

Je m’en tape de ce qu’il pense ! Tu m’entends ? J’ai envie d’être avec toi. Que ça lui plaise ou non, il ne m’en empêchera pas. Je marque une pause, le cœur serré, redoutant la réponse qu’elle va me donner.

Si tu veux que je m’en ailles, dis-le moi…et je partirai…je n’en ai aucune envie, mais si telle est sa décision, je l’accepterai. Mon cœur bat désormais la chamade. Barbara, retiens-moi s’il te plait…

Elle ne réagit pas. Je ferme les yeux, prenant une bonne inspiration, puis laisse échapper un profond soupire de désespoir. A contre cœur, la gorge nouée, je libère son visage et la regarde attendant un geste d’elle. Mais toujours rien. Putain Barbara…je t'aime ! Tu ne le vois pas ! Je baisse les yeux tristement puis recule de quelques pas avant de lui tourner le dos et de prendre la direction de la porte, avec ce maigre espoir qu’elle me retienne.

La main posée sur la poignée, je m’apprête à quitter l’appartement quand soudain, mon cœur brusquement s’affole d’espoir au son de sa voix. Elle me prend la main, je ferme les yeux, soulagé qu’elle m’ait retenu. Je fais aussitôt volte-face, me languissant terriblement de ses lèvres. Je reste stoïque malgré moi, même si je crève d’envie de la prendre dans mes bras. Je n’ai pas le droit d’exiger ça, j’ai merdé. Elle m’en veut…

Je trouve la force d’affronter son regard, déglutissant avec peine lorsque je vois la souffrance qui anime son visage angélique. Mon cœur devient brusquement douloureux. Je n’aime pas faire souffrir les gens et encore moins lorsqu’il s’agit de la femme que j’aime. Je me sens faible. Pourquoi n’ai pas simplement envoyé péter Kristian ? Pourquoi mes forces m’abandonnent, mes jambes flageollent chaque fois que je me retrouve face à lui ? Je sais que je n’ai pas honoré ma promesse…je ne me sens pas vraiment digne de son amitié…il…je…

J’ignore combien de temps il me reste encore. Je sais une chose, je ne veux pas passer une seule seconde de plus sans cette femme. Et si pour ça, je dois définitivement faire une croix sur Kristian, alors soit. Ce sera probablement moins dur pour lui lorsque mon heure sera venue. Mais ? qu’adviendra-t-il de Barbara ? J’ai joué carte sur table, je lui ai clairement dit qu’entre elle et Kristian, c’est elle que je choisis. J’espère qu’il n’est pas trop tard. Se yeux transpercent les miens. Mes jambes flageolent à nouveau. Et si elle ne voulait plus de moi…

Je l’écoute attentivement. Je veux pas que tu partes… Mais penses pas que je t'en veux pas.. J'ai été vexée.. Triste.. Je peux comprendre que tu le vie mal aussi, je t'en veux pas pour ça.. Mais ton ignorance envers moi fait mal…". Je pose une main sur sa joue.

Je sais…pardonne-moi… ma gorge se noue, écrasant cette putain de culpabilité.

Mais sache que t’ignorer m’est impossible. J’ai…Je n’ai pas cessé de penser à toi toute la journée. Je…je ne savais pas vraiment quoi faire vis-à-vis de Kristian, Je soupire tristement.

J’ai perdu mes moyens. Et…heu…j’ai pas l’habitude…d’échouer aussi piètrement.

Je marque une pause, soupirant à nouveau. Elle pose sa main sur mon arcade, encore affreusement douloureuse. Il faut dire, il n’y est pas allé de main morte l’enfoiré ! Je grimace. Elle me fait asseoir sur le canapé et se dirige vers la salle de bain pour prendre sa trousse de premiers secours. Je la regarde partir sans un mot. Elle revient avec tout le nécessaire pour soigner ce vilain bobo. Elle me fait remarquer à quel point nous pouvons agir comme de vraies brutes épaisses. Je ne relève pas. Que suis-je sensé lui répondre ? Elle a raison. Nous les mecs, on est comme ça, on rentre dans le tas.

Je la laisse faire, dévisageant amoureusement les traits qui façonnent son visage. Puis je l’arrête, emprisonne sa main qui s’occupait de mon arcade, lui prends la compresse et la dépose sur la table basse. Je la regarde un instant puis je me rapproche en me mettant ainsi à genou puis l’enlace par la taille et pose mon visage contre son ventre. Je prends une profonde inspiration pour m’enivrer de son délicieux parfum. Elle m’a tellement manquée…tellement…

Son contact…ça m’avais tellement manqué. Et pourtant, ses lèvres entrelaçaient les miennes pas plus tard que ce matin. J’imagine que cette histoire avec Kristian m’a foutu un sacré coup au moral. J’ai mal dans la poitrine. Non, pas à cause de ma maladie. C’est juste douloureux de perdre un ami. Et pas n’importe lequel. Je sens sa main se glisser dans mes cheveux d’un geste très tendre et m’octroie de petits frissons. La douce chaleur de ses lèvres embrassant mon front, son souffle chaud sur ma peau, tout chez cette femme me procure un effet euphorisant. Le silence inonde la pièce, mêlé au bruit sourd de nos respirations.

Ne m’abandonne jamais Dimitri…

Sa voix tremble. Elle semble si triste que cela m’enserre la cage thoracique. Je recule mon visage et cherche ses yeux émeraudes. Puis, je me redresse sans jamais la quitter du regard. Mes mains emprisonnent son visage désormais si près du mien. Les palpitations retentissent dans ma poitrine, jusque dans ma tête et mes veines. Mes doigts glissent vers son cou puis atteignent ses épaules nues sur lesquelles ils s’attardent un instant.

Jamais… assurai-je dans un chuchotement baigné de sincérité. Je me rapproche davantage et capture ses lèvres. Soudain sentiment de renaissance...