J’me souviens encore quand je déboulais dans ta piaule pour te froquer et t’emmener t’acheter des pompes. Tu jubilais à l’idée de me montrer que tu savais enfiler un froc et un tee-shirt tout seul tandis que je te témoignais toute la fierté que tu m’inspirais. Et pourtant, un petit pincement au cœur quand j’y repense, car je savais qu’à partir de ce jour, tu n’aurais plus besoin de moi…Tu sais Doyle, je suis très fier de l’homme que tu es devenu même si tu plus coincé qu’une bonne sœur. D’ailleurs je mettrais ma main à couper que ton petit oiseau n’a jamais trouver fleur à butiner. En tout cas, tu es l’un des seuls de cette famille qui a su rester dans le droit chemin.

Oui, sûrement, mais maintenant, je suis un grand garçon, Dev... Je sais Doyle. Je sais…tu me l’as déjà dit l’été 2006. Tu es un grand garçon. Un dernier sourire étire fébrilement la commissure de mes lèvres pour acquiescer ta remarque comme une certaine fatalité, et je me retourne pour te laisser vidanger Popol.  En attendant que tu fasses ta petite affaire, je me positionne dans l’encadrement de la porte puis observe les couloirs déserts de ton étage, où une infirmière passe de temps à autre pour surveiller les patients. Quand la pensée de ton anniversaire me traverse l’esprit, je me permets de te demander ce qui serait susceptible de te faire plaisir. Après tout, on ne devient majeur qu’une fois dans sa vie.

Je ne sais pas... Quand on sortira d'ici, on pourrait peut-être... Je ne sais pas... Passer du temps ensemble.

Un petit pincement au cœur, cette fois aussi agréable qu’une caresse. Je me retourne puis te fixe avec un sourire sincère pendu à mon visage fatigué. Passer du temps ensemble. De simples petits mots aux pouvoirs si analgésiques. Moi qui pensais que tu allais encore aborder un sujet fâcheux, je suis ravi que tu proposes de mettre notre relation au cœur de cette soirée. Et puisque j’ai pensé à tout, je sors mon jeu de cartes de ma poche pour te proposer d’inaugurer ces retrouvailles dans un contexte plus calme, jovial, moins explosif mais plus aseptisé. Tu sembles ravi. Tu acquiesces d’un signe de tête puis tu te redresses pour attendre les cartes que je bats, mélange et distribue rapidement sur la petite table à roulettes. Je viens ensuite m’installer au pied de ton lit, veillant à ne pas t’écraser en prenant le moins de place possible.

Maman voudrait venir, je n'arrête pas de lui dire que ça ne servirait à rien mais... Enfin, tu la connais... Je crois qu'on lui manque... tous. Mes yeux s’écarquillent ironiquement puis je hausse les épaules en t’invitant à commencer. Ouai, je sais…soupirai-je, je l’ai eu au téléphone hier. J’ai réussi à l’en dissuader. Je préfère la laisser en dehors de tout ça, et dans le tout ça, il y a bien entendu le cas Raven. Je lui ai assuré qu’on passerait la voir quand tu seras remis sur pied.

Les médecins disent que je vais être en convalescence pendant un bon moment, alors... J'irai passer quelques semaines là-bas, quand je serai sorti.

Mon regard vient croiser le tien et je plonge dans un silence de plomb pendant un certain moment. Mes iris viennent se focaliser sur mon jeu. D'un sourire fébrile, je pioche une carte, incline légèrement la tête sur le côté et la dépose au centre avant de te regarder de plus bel. Génial, répondis-je machinalement, sans un sourire ni réel engouement, Je t’y conduirais si tu veux, proposai-je. Ça sera bien mieux que de supporter les simagrées de Raven. La pensée de mon cher frère camé, me rappelle la décision que j’ai prise avant que tout parte en couille. Silence. Tu joues. Quand vient mon tour. Je lâche un soupire et incline de nouveau la tête. Je mords l’intérieur de ma joue, hésitant, tapotant mon jeu avec mon index. J’inspire un peu d’air afin de m'exprimer, mais  seul un silence éloquent s’échappe dans les airs de la chambre. Je tapote mes cartes avec plus de conviction, puis en saisis que je garde un instant entre mes doigts! j'ai décidé d'aller aux alcooliques anonymes, confessai je enfin tout déposant ma carte sur le tas avant de recroiser la prunelle de tes yeux.