Le paradoxe Ikea

4 étagères, une table et un lit... voilà ce qu'il restait à monter, et seul c'était faisable, mais pas vraiment sympathique. Du coup j'avais appelé Blake à la rescousse, et assis sur le sol du salon, j'avais ouvert le manuel de montage autour des plaques de pseudos bois d'une des étagères.

- Je déteste ces meubles, mais dormir sur le sol, entouré de mes livres, ça faisait un peu trop Edgar Allan Poe pour moi. Dis-je en commençant à monter deux pans. Tiens ça s'il te plait, je vais mettre les vis.

Je me relevais, pour m'atteler à la tâche.

- Dis moi tu as déjà été au groupe de parole du coin ?

Oui, il fallait en parler, nous avions vécu un traumatisme important et en parler, et reparler même avec des étrangers, permettait de mieux guérir, et avancer au final.

- Je pensais y aller jeudi, si tu veux venir ?

Elle m'avait parlé un peu de son fiancé mort, je lui avais dit pour ma mère qui était décédée, on s'était un peu confié mais c'était superficiel, vu les traumas. De cette explosion en 2018, elle en garderait une énorme cicatrice dans le dos, et moi j'aurais toujours du mal à plier en entier le bras gauche avec les plaques en métal sous la peau.

- J'ai eu Paxton au téléphone dis donc, il m'a dit de te passer la bise, il viendra sûrement à LA dans 6 mois j'crois.

Y'en restait de notre unité, pas tout le monde, mais certain... Enry, Paxton, Chris, Blake et moi. Sur une unité de 20 personnes... La guerre c'est moche, c'est tout ce qu'il faut retenir.

@Blake R. Hartfield

Le paradoxe Ikea

Tyron & Blake

“Faites l’amour, pas la guerre !”

Blake avait accepté d’aider Tyron à monter ses meubles. Il pouvait lui demander ce qu’il voulait, il obtiendrait probablement un oui de la part de la jeune femme. Enfin, lui demander des choses dans la limite du raisonnable et du faisable évidemment. La jeune femme lui devait beaucoup. Mais ce n’était pas seulement pour cette raison qu’elle avait accepté de lui apporter son soutien avec ses meubles. Ça lui permettait de sortir un peu de son appartement et de passer du temps avec une personne qu’elle appréciait. Une personne qui savait ce qu’elle avait vécu. Qui surtout comprenait parce qu’il avait vécu et qu'il était dans la même situation qu’elle. Il ne la regarde pas comme une pauvre petite chose fragile et ne la prend pas pour une folle. Ça faisait du bien d'être compris.

La demoiselle Hartfield se tenait près de Tyron attendant ses instructions. Il tentait de déchiffrer le manuel de montage qui était souvent incompréhensible malgré les dessins. La jeune femme tenait les deux étagères qui lui tendaient et les plaçait comme il lui avait demandé. Alors que Tyron vissait les vis, il lui demandait si elle était allée au groupe de parole. « Pour être honnête, j’y suis allé. Je suis même allé à celui de l’association de vétérans et un autre à l’hôpital. » Elle marquait une pause avant d'ajouter. « Mais ça fait un moment que je n’y vais plus. » Au début, Blake y allait régulièrement. Il lui avait fallu du temps pour parler, elle y allait pour écouter. Elle avait fini par réussir à s’ouvrir. Elle avait fait des pas en avant, elle avait fait des progrès. Elle avait même l’impression d’aller mieux. Mais tous ses efforts se sont effondrés comme un château de cartes quand Asher est mort. Blake se posait beaucoup de questions. Elle ressentait surtout la culpabilité du survivant. Pourquoi était-elle toujours là et pas les autres ? Pourquoi Tyron avait risqué sa vie pour la sauver ? Inconsciemment, le regard de la blonde s’était posé sur les cicatrices du bras de Tyron. Blake n’avait pas répondu à sa proposition de venir avec lui à une réunion ce jeudi. Elle ignorait si elle était prête à y retourner. « Elles t’aident, ces réunions ? »

Tyron informait que l’un de leurs amis viendrait bientôt à Los Angeles. Un camarade de leur unité, l’un des rares survivants. « J’ai hâte de le voir. Je l’ai eu au téléphone il y a quelques semaines. » Comme beaucoup de personnes, il avait appelé Blake en apprenant que son fiancé était décédé. À la différence de certains, elle savait que les mots de Paxton étaient sincères et réellement compatissants.

Made by Neon Demon

@Tyron Westwood

Je l'écoutais tout en vissant, elle avait fait la démarche au moins, c'était l'essentiel. Après la mort d'Asher, elle a du couler un instant, mais j'étais là pour lui prêter main forte, je ne pourrais pas la perdre.

- ça m'aide un peu, quelque part... le plus dur c'est la nuit, quand le corps se relâche et que le cerveau garde pas les rennes... mais je pense qu'on vit tous ça. Je mâche des gummies à la Lamaline et à la camomille.

Je lui parlais de Paxton, et on terminait le premier meuble, en discutant un peu, nos mains se frôlant par moment, échangeant de place de temps en temps, posant une main sur son bras, sur sa hanche, riant. Et puis l'étagère était sur pieds...

- Elle est bancale non ? Lui demandais-je une main sur mon menton, légèrement en arrière, pour regarder le meuble. Bon d'un côté il restait deux vis, on en fait quoi ?

J'étais nul en construction de meubles, j'avais toujours délégué le sujet.

- Bon, pizza bière ? Lui proposais-je. Et puis y'a ce film d'action que je voulais voir, tu restes ce soir ?

@Blake R. Hartfield

Le paradoxe Ikea

Tyron & Blake

“Faites l’amour, pas la guerre !”

Blake ne doutait pas des bénéfices que procuraient les groupes de paroles. Malheureusement, aujourd’hui, elle avait du mal à s’y rendre. On se sentait bien en ressortant de la réunion, mais le bien-être était de courte durée. Comme le disait Tyron, la nuit était ce qu'il y avait de plus compliqué. La demoiselle Hartfield ne comptait plus toutes ses insomnies et toutes les nuits où elle avait contemplé les plafonds de sa chambre. Elle avait fini par remarquer les moindres imperfections qui s’y trouvaient. « Tu penses qu’un jour, on retrouvera le sommeil ? » Blake espérait qu’elle ne l’ennuyait pas avec ses questions qui pouvaient sembler bêtes. Des questions qui hantaient assez régulièrement l'esprit de la jeune femme.

La venue de Paxton à Los Angeles était une bonne nouvelle pour Blake. Revoir les personnes de l’équipe faisait toujours un bien fou. Ils étaient de véritables amis sur qui chacun d'entre eux pouvait toujours compter. Avec tout ce qu’ils avaient vécu, on pouvait même dire qu’ils étaient devenus une vraie famille. « En parlant de venir à Los Angeles, ta famille ne vient pas bientôt te rejoindre ? » Tout en discutant, le meuble de Tyron prenait forme. Il y avait cependant quelque chose qui cloquait. Il penchait légèrement. Blake rit, envoyant les vis restantes dans la main de Tyron. « Je peux ? » Demande-t-elle en tendant les mains pour qu’il lui donne le manuel et le tournevis. Après avoir examiné le meuble sur toutes les coutures, elle pensait avoir trouvé le petit problème et où placer les deux vis restantes. « Finalement, c'est rassurant de voir que tu n’es pas parfait dans tous les domaines. »

Tyron avait l’air d’abandonner le montage de ses meubles pour ce soir. Il proposait à Blake bière et pizza devant un film d’action. C’était un très bon programme. « Je reste avec plaisir tant qu'il n'y a pas d'ananas sur la pizza. Tu ne veux pas finir tes meubles ? Ça ne te dérange pas de passer une nuit supplémentaire parterre ? »

Made by Neon Demon

@Tyron Westwood

Le paradoxe Ikea - Blake