Ces derniers temps, l’affluence au garage avait diminué. Nous avions beaucoup moins de travail, mais ça ne m’inquiétait pas. La période estivale allait bientôt commencer, l’heure des grandes vacances venait à grand pas. Avant le départ, la quantité des rendez-vous augmentés considérablement. Les automobilistes venaient faire une révision avant d’entamer le chemin des vacances. Je profitais donc du calme au garage pour prendre mon après-midi. Matthew pouvait gérer seul. En cas de besoin, je restais tout de même joignable et je n’étais pas loin.

J’avais décidé de faire une petite après-midi sportive en faisant quelques paniers près de Venice Beach. Ça me rappelait des vieux souvenirs qui me rendaient un peu nostalgique par moments. Elle était loin l’époque où je me retrouvais ici avec mes potes et que nous jouions sans compter les heures. Le groupe s’était dissous avec le temps et je ne sais même pas ce qu’étaient devenus la plupart d’entre eux. J’étais même en froid avec quelques-uns, ce qui était une habitude chez moi. Je m’étais un panier, le ballon atterrit au pied d’un adolescent. Je ne l’avais pas vu arriver. Il s’agissait d’un gamin que je connaissais bien, Jaimie. Je ramassais le ballon en remarquant le regard noir qu’il me lançait. Je n’en attendais pas moins de sa part. « Tu es bien le fils de Sanaa. » Je ne saurais dire le nombre de fois où sa mère m’avait regardé de cette manière. Ma relation avec cette dernière pouvait être très conflictuelle comme tout l’inverse. Nous avions toujours eu un lien particulier que personne ne comprenait. Même moi je ne saurais le définir.

Je m’approchais de Jaimie, ça faisait presque un an que je ne l’avais pas vu. Il avait quelque chose de changé. Le temps passait vite. La dernière fois qu’on s’était vu, j’avais eu le droit à un coup de poing en plein visage. Il m’avait pris par surprise, cette fois, je ne me ferais pas avoir. « J’ignorais que tu étais rentré. » Heureusement que j’avais demandé à Sanaa de me donner des nouvelles à propos de Jaimie quand elle en avait. Je tendais le ballon de basket vers Jaimie en lui demandant « Tu veux faire une partie ? On joue seulement, on n'a pas besoin de parler. »

AVENGEDINCHAINS

Le regard noir que Jaimie venait de me lancer, je le connaissais bien. Il héritait bien ça de Sanaa, je ne pouvais pas le nier. Par contre, quand il disait avoir tout hérité d’elle, je n’étais pas totalement d’accord. Malgré cela, je ne dirais rien, ce n’était pas une bonne idée de le contrarier. Je n’étais clairement pas en position de force face à lui, surtout depuis notre dernière rencontre.

Je m’étais rapproché en toute innocence de Jaimie ce qui avait déclenché immédiatement la méfiance de l’adolescent. « Rien, je n’ai pas l’intention de te toucher ou faire quoi que ce soit. » Je m’étais simplement rapproché parce que nous discutons. C’était toujours mieux d’être proche, sans pour autant empiéter sur l’espace de l’autre, que d’être à plusieurs mètres. Inutile de tout le monde autour entend leur conversation, ça ne les concernait pas et ça ne les intéressait pas.

J’avouais que je n’étais pas au courant de son retour. J’en voulais à Sanaa de ne pas m’en avoir informé. Moi qui pensais que je pourrais lui faire confiance sur ce point-là. J’allais devoir lui rappeler notre accord. Jaimie annonçait la raison de son retour : un renvoi. « Ça par contre, c’est de moi que tu le tiens. » C’est en prononçant cette phrase que je comprenais qu'elle braquerait peut-être Jaimie. C’était pourtant vrai, j’avais déjà été viré de quelques établissements scolaires. À ma connaissance, ça n’était pas arrivé à Sanaa. Mais après, je ne l’ai connu que depuis sa dernière année de lycée. Ça a pu arriver avant.

Je poursuivis en proposant à Jaimie une petite partie en lui tendant le ballon. À ma grande surprise, mais aussi à mon plus grand bonheur, il acceptait mon invitation. Je souris. Il avait cependant une condition, ne rien dire à Sanaa. « D’accord, je ne lui dirais rien. Tu es puni c'est ça ? » Cacher des choses à Sanaa n’a jamais été un problème pour moi. Jaimie énonçait les règles du jeu avant de lancer le ballon en l’air. Il me l’avait juste avant arraché des mains, aucune délicatesse dans son geste. « Ça me convient. » Je laissais Jaimie rattraper le ballon pour cette fois. 

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Je m’étais rapproché de Jaimie en lui précisant que je n’avais aucune intention de le toucher ou quelconque autre intention. J’avançais simplement pour discuter en restant à une distance raisonnable. La réponse de Jaimie me fit sourire. « Je me suis fait avoir une fois, pas deux. Il fallait profiter la dernière fois. Cette fois, je ne te laisserai pas faire. » Sans me vanter, je savais assez bien éviter les coups. J’avais des années de sport de combat derrière moi. Je continuais à en pratiquer, même si je ne faisais pas de compétitions ou de réels combats depuis quelques années. C’était ma douleur à l’épaule qui me limitait dorénavant et probablement l’âge mine de rien.

Ça m’avait échappé, lorsqu’il avait avoué avoir été viré de son internat, je l’avais comparé à moi. Une réflexion qu’il n’avait pas très bien prise. Je ne prenais pas un seul instant sa remarque mal. J’étais même plutôt d’accord avec lui. J’avais également entendu bien pire à mon sujet. Ce n’était pas une petite pique qui allait m’atteindre. « C’est probablement vrai. » Il avait sûrement pris le meilleur chez Sanaa. C’était par ailleurs elle qui l’avait élevé, elle lui avait probablement inculqué de bonnes valeurs.

Le fait qu’il ne veut pas que je parle à Sanaa de notre rencontre, me poussait à croire qu’il était puni. C’était une conséquence logique à son exclusion. Mais comme je n’étais pas son père et que je ne participais pas à son éducation, ça ne me dérangeait pas qu’il ne respecte pas les termes de sa punition. D’ailleurs, Sanaa ne m’avait pas informé de son retour, donc je n'étais pas censé savoir qu’il était puni. Jaimie préférait ne pas en parler, d’ailleurs, il ne voulait pas parler du tout. Ça me convenait d’ailleurs, je lui avais dit qu’il n’avait pas à le faire s’il voulait jouer.

Par pure courtoisie, je laissais Jaimie attraper la balle en premier. Ce qui avait réveillé une colère ridicule en lui. Je le laissais débiter avant de lui répondre. « Y a un truc qui s’appelle la courtoisie. Je n'attends aucunement à ce que tu me sautes au cou. Ce n'est pas du tout mon genre et tu devrais le savoir. Ce n'est pas parce que je n'ai pas sauté pour attraper la balle que je ne compte pas jouer sérieusement. Ce n'est pas toi qui vas m’apprendre le respect petit. Puisque ton comportement est tout sauf respectueux, mais ce n'est pas à moi de faire ton éducation. Je ne sais pas comment tes parents réagissent à tes crises de colère mais tu vas te calmer avec moi. Si tu veux te casser, vas-y, ce n'est pas moi qui te retiendrai. » J'avais dit cela très calmement. Je rattrapais le ballon qui me lançait avec colère. Je ne cherchais pas spécialement à me faire apprécier de Jaimie. Je n’allais pas être différent pour lui même si Jake me l’avait demandé. J’étais un homme qui ne mâchait pas mes mots et ce serait pareil avec ce morveux. Il avait le droit d’être en colère, mais ça ne lui octroie pas tous les droits.

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Laissons Jaimie croire qu’il aurait de nouveau l’occasion de me frapper au visage. Je n’avais aucun intérêt à lui répondre pour le coup. On aurait pu passer un bon moment, mais l’adolescent en avait décidé autrement. Il voyait un geste de courtoisie, presque de bienveillance, comme un affreux affront. On pouvait quand même reconnaître que ce gamin avait du caractère, merdique certes, mais du caractère. Il avait également un certain répondant. Après, on pouvait dire qu’il avait de qui tenir, ni Sanaa, ni moi ne mâchait nos mots ou ne se laissait pas marcher sur les pieds. « Les règles, tu es sûre de toutes les respecter ? Tu n’aurais pas été viré si c’était le cas. Tu ne serais pas là non plus si tu respectais les règles et les termes de la punition de ta mère. » Jaimie disait ne pas me connaître, ce n’était pas quelque chose de vrai. J’ai toujours fait partie de sa vie d’une façon ou d’une autre. Il me connaissait par mon amitié avec Sanaa ou avec ma relation de plus d’un an avec sa marraine Ellen ou encore ma rivalité avec Jake. Je le suivais en restant à distance alors qu’il s’en allait. Je tenais tout de même à lui répondre. « D'accord, admettons que tu ne me connaisses pas. Apparemment, tu ne sais pas non plus que je ne me suis pas barré et je n’ai abandonné personne. Je n’étais même pas avec ta mère à cette époque. Toi, Sanaa et moi, on n'a jamais été une famille et on n'aurait jamais pu l’être. Est-ce que ta mère t’a expliqué pourquoi j’ai agi comme ça ? Est-ce qu'elle t’a dit qu’elle a failli mourir deux fois par ma faute quand tu étais bébé ? Tu as raison, je n’ai jamais été ton père et je ne le serais jamais. Il y a un truc qui est sûr, c'est que tu ne connais pas toute l’histoire. » J’espérais que ces éléments interpelleraient la curiosité de Jaimie qu’on aborde enfin le sujet. Il avait beaucoup de non-dits dans cette histoire, seule la face visible de l’iceberg était explorée.

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C’est vrai, j’ignorais les raisons de son expulsion. Sanaa n’a pas jugé bon de me tenir informé. Pourtant, nous avions un accord, enfin, je le croyais. Finalement, je ne pouvais pas lui faire autant confiance que je le pensais. Menteuse un jour, menteur toujours. J’allais encore avoir une conversation avec elle. Elle avait intérêt à me dire les choses clairement. Elle ne prononce pas seulement les mots que j’avais envie d’entendre. Je savais qu’elle faisait parfois ça uniquement pour que je lui lâche la grappe. Pour Jaimie, je ne me ferai pas avoir. Certes, j’avais pris mon temps pour m'intéresser à lui, mais maintenant, j'étais là. Jaimie avait raison quand il disait que je ne m’intéressais pas à lui, mais c’était avant. Je ne dirais rien, je n’allais pas me plaindre auprès de lui. Je ne lui dirais pas que sa mère me tient loin, qu’elle ne me révélait rien. Déjà que j’avais appris par le plus grand des hasards son intégration dans l’internat. Pourtant, j’avais le droit de le savoir, d’autant plus que je faisais partie des raisons qui l’avaient poussé à faire ce choix.

Jaimie ne mesurait pas ses mots : con, abruti. C’est clair, il n’avait pas le moindre respect pour moi. Je le comprenais. Je n'en avais pas moi-même pour mon père. J’ai reproduit exactement le même schéma que lui. J’avais fait à Jaimie tout ce que je reprochais à mon paternel. Encore une fois Jaimie avait raison, j’étais un con. Apparemment, les règles du basket étaient quelque chose de sacré pour Jaimie. Il était très pointilleux à ce sujet. « OK, j’arrêterai d’être courtois et faussement gentil avec toi. Y a-t-il d’autres règles sacrées comme ça que j’ai interdiction de bafouer ? Que je le sache tout de suite, ça t’évitera de t’énerver pour rien à l’avenir. » Même si je savais que ce n’était pas réellement le fait que je n’ai pas respecté à la lettre les règles qui le mettaient dans cet état. C’était toute cette situation. « Tu as raison, je ne te connais pas Keagan. Je ne savais pas que tu étais si impoli. » Contrairement à Jaimie, quand j’appelais quelqu’un par son nom de famille, ça n’avait rien de méprisant. À tous les coups, Jaimie le prendrait pour un affront.

Je proposais à Jaimie de lui raconter ma version de l’histoire. Celle que Sanaa ne lui avait sûrement pas racontée. Une proposition qui semblait intéresser Jaimie, ce qui n’était pas surprenant. « Tu vas loin quand même là. » Dis-je à propos de sa dernière réflexion sur le fait de porter ses couilles après les avoirs vidés. Je ris. Je ne sais pas si c’était nerveux ou si je trouvais son comportement presque comique. « Écoute, j’ai été très claire avec Sanaa. Ça devait être qu’une nuit, il n'a jamais été question de fonder une famille. Désolé pour ce que je vais dire, mais c’est la vérité. J’ai demandé à Sanaa d’avorter. Elle n’a pas voulu, ce que je n'ai pas compris vu l’âge qu’elle avait. En refusant, elle savait qu’elle allait t’assumer toute seule. C’est son choix. »

Jaimie paraissait prêt à m’écouter. Il s’adossait contre le grillage. Je m’approchais de lui tout en restant à bonne distance. « Sans juger, sans rien dire, ouais, c'est ça avec ta grande gueule, ça m’étonnerait. » Je marquai une pause avant de commencer mes explications de manière condensée, j’allais lui épargner tous les détails. « Quand j’ai connu Sanaa, je venais de sortir de prison. J’étais barman dans un bar, mais ce n’est pas comme ça que je gagnais réellement ma vie. J’étais dealer de drogue et je me droguais aussi pas mal. Tu as gagné le gros lot avec un père camé et une mère alcoolo… Enfin, je n’avais pas de très bonne fréquentation et des soucis avec mes fournisseurs. Je leur devais pas mal d’argent. Ce n’était pas l’environnement idéal pour un gamin. Quand tu avais un ou deux ans, on est sorti quelques mois ensemble. Ils s'en sont pris à Sanaa comme elle était proche de moi et pour son argent. Il ne se serait pas pris qu'à elle s'il savait ton existence. »

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