Je m'étais levée tôt ce matin, tandis qu'Ulrick dormait encore profondément. J'avais mis peu de temps à me préparer, et je m'étais même maquillée dans la voiture. Je ne supportais plus l'ambiance pesante de cette maison, et surtout de l'harcèlement de mon bourreau. Mes journées étaient longues : je partais tôt le matin - peu importe où pour peu que je ne restais pas à la maison -, et je rentrais tard le soir. Seuls les jours où Ulrick était en déplacement me permettaient de me poser un peu plus sereinement chez moi.

Heureusement, je me passionnais toujours autant pour mon travail. Travailler avec des petits félins tout au long de mes journées, les observer et mettre en place des plans d'action en fonction des problématiques rencontrées, tout cela me captivait. J'avais d'ailleurs tendance à me réfugier un peu trop dans le travail, occultant ma vie personnelle et ses nombreux problèmes, dont le décès récent de mon père et le retour au bercail de mon jumeau.

Ce matin donc, une fois que j'eu fini de me préparer, je m'entacha de démarrer ma voiture. J'avais rendez-vous à Santa Monica, dans un petit quartier résidentiel où un petit minou en faisait voir de toutes les couleurs à ses propriétaires. Pourtant, la journée ne démarra pas comme prévu : un voyant moteur s'afficha presque quelques secondes après que ma voiture ait démarrée.

« Putain fait chier ! » râlais-je en tapant machinalement sur le volant et en soupirant. Mon regard tourna vers ma maison. Il était hors de question que j'y retourne, et je ne pouvais de toute façon pas me passer de ma voiture.
Cela faisait 4 jours d'affilé que ce voyant s'allumait, ponctuellement. Parfois tout de suite, parfois au bout d'une journée, le résultat était assez aléatoire. Quoiqu'il en était, dans ces moments là, je me retrouvais avec une voiture qui n'avait plus de patate et qui avançait à la vitesse d'un escargot, en plus de cracher noir au niveau du pot d'échappement.

Pas le choix, il fallait que le problème soit rapidement résolu. J'appelais alors dans la foulée mes clients du matin, les informants que suite à un imprévu je devais annuler notre rendez-vous. Heureusement pour moi, ils s'étaient montrés compréhensifs.

« Bon ben, pas l'choix. » avais-je susurré entre mes dents, déclenchant mes warnings et déboitant tout en douceur sur la chaussée. Je savais pertinemment qu'en me rendant au garage tenu par un ami de longue date, Jeff, mon problème serait vite résolu.

Jeff était un ami de la famille, qui avait toujours et très naturellement joué un rôle de grand-frère pour nous, les jumeaux Ashmore, lorsque nous étions plus jeunes. J'avais d'autant plus maintenu le lien avec Jeffrey après le départ inopiné de Raphael, et quelque chose de très fraternel c'était installé. C'était d'autant plus fort depuis le décès de papa, mais voilà maintenant quelques semaines que je n'avais pas pris de nouvelles, et au delà de me rendre service avec mon problème de voiture, sa bouille me manquait. À chaque instant passé avec lui, peu importe où, au garage, dans un bar ou chez l'un des deux - notamment quand Ulrick n'était pas là -, je passais systématiquement un bon moment.

Enfin, j'arrivais devant le garage, garant ma voiture de sorte à ne pas gêner le passage. Il y avait peu de mouvement à l'intérieur, peut-être était-il seul aujourd'hui ? Il tenait le garage avec un certain Matthew, que je connaissais peu. J'espérais en tout cas de tout cœur qu'il travaillait bien aujourd'hui.

Je toquais sur une des portes en tole de sorte à faire raisonner ma présence.

« Jeffrey ?? »

J'entamais un ou deux pas à l'intérieur du garage, timidement, observant une voiture soulevée par un pont, et de l'outillage éparpillé ici et là.

« Jeff, t'es là ? » ajoutais-je à nouveau, un peu plus fort.

Je lui avais conseillé à plusieurs reprise de voir avec son associé pour embaucher au moins une personne dédiée à la réception des véhicules, et l'accueil des clients... Mais force était de constater que ça n'était toujours pas au goût du jour.

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J'avais finalement vu Jeff pointer le bout de son nez, après avoir entendu vaguement son timbre de voix retentir à mesure qu'il s'approchait. Il m'avait fait signe de patienter un moment, il était au téléphone. Il ne m'avait pas fallu longtemps pour comprendre qu'il était avec un client, et que la conversation ne se déroulait pas tout à fait comme il aurait voulu.
Je patientais tranquillement, faisant lentement le tour de l'atelier. Je trouvais ça passionnant à observer, et en même temps ça me dépassait. J'avais toujours été très amusée de constater l'attrait profond de certains hommes pour les voitures, ou pour leurs voitures, parfois plus que pour leur propre femme.

« Désolé, un client pénible. »

Jeffrey m'avais tiré de mes songes, et mon regard glissa vers lui à mesure qu'il se rapprochait de moi. J'arquais un sourire sincère.

« J'ai cru comprendre, oui... Souvent les mêmes qui sont des éternels insatisfaits. » avais-je répondu, presque amusée. Si dans ma profession j'étais relativement épargnée des clients lourdeaux, il m'était tout de même arrivé de faire deux ou trois rencontres qui me laissaient des souvenirs impérissables en matière de clients chiants.

« Que fais-tu là, sitôt un problème ? » Mon regard croisa alors le siens, profondément. Je ne le sentais pas particulièrement inquiet, mais Jeff était de ceux qui semblait facilement camoufler ses émotions. Et sa phrase ne sortait pas comme ça de nulle part. Si seulement il savait... Si seulement il savait l'enfer que je vivais à la maison, si seulement il savait à quel point j'étais en froid avec mon frère, et s'il savait que j'avais vécu cette fausse-couche il y a quelques semaines...
Jeffrey savait que ces derniers temps étaient compliqués, je lui avais laissé entendre à plusieurs reprises que j'étais fatiguée émotionnellement et que je traversais des montagnes russes. Pour autant, j'avais jamais réussi à lui parler concrètement de la situation. Non pas que l'envie me manquait bien au contraire, il était de ceux en qui j'avais le plus confiance. Mais la réaction de Raphael à mon enfer m'avait chamboulée, et ma seule crainte était que celle de Jeff soit encore pire. En effet, nous avions tissés au fil des années un lien très solide, après l'abandon de mon jumeau.

Je réalisais que les secondes défilaient, et que je ne lui avais toujours pas répondu. Il était plus que temps de briser le silence.

« Je... euh... » Le temps de retrouver mes esprits et de revenir à la situation présente. « J'ai un problème avec ma voiture depuis quelques jours. » J'avais accompagné mes paroles d'un mouvement de la main en direction de la voiture qui attendait devant. Je marquais un temps d'arrêt. « C'est aléatoire, mais j'ai parfois un voyant qui s'allume et la voiture perd alors toute sa pêche. J'avance à 10 km/h maximum... »

Je le regardais, presque gênée de n'avoir pu cacher mon trouble dans ma voix. J'avais surement dû me trahir sur mon long moment de réflexion, mais avec un peu de chance, Jeffrey ne relèverait pas.

« Et... j'avais envie de te voir Jeff. Alors c'était l'occasion. » ajoutais-je en détournant les yeux.

« Je peux t'offrir un café ? » m'avait-il proposé. Mon regard s'aimantait à nouveau au sien.

« Avec plaisir, merci. » J'avais accompagné ma réponse d'un sourire, prenant conscience que Jeffrey m'avait toujours provoqué une étrange sensation quand j'étais face à lui. Je me sentais petite fille, presque intimidée par son charisme et son charme naturel.

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Je le scrutais sans vraiment m'en cacher, et remarquais ce petit sourire qui s'était dessiné lorsqu'il avait entendu que j'avais envie de le voir. Obtenir un sourire de Jeff, c'était comme décrocher le Jackpot. C'était quelque chose de rare qui rendait donc le geste encore plus précieux. Et j'étais ravie d'avoir pu lui décrocher ce rictus.

« D’accord, si ce n’est qu’un problème de voiture, je suis ton homme. Je vais regarder ça. »

Amusée, je m'empressais de répondre avec une moue amusée :

« J'espère bien ! Qui d'autre, sinon ? » Dans un même temps, je lui tendais les clés de ma voiture. Nul doute que c'était un bon début si je voulais qu'il puisse jeter un œil.
Mais avant de commencer, il était une chose des plus sacrées : le café. Que j'avais accepté aussitôt que Jeffrey me l'avait proposé.
« Par contre, j’ai du sucre, mais pas de lait. » Il était prévenant. Il comblait si bien cette figure fraternelle que j'avais perdue 9 ans plus tôt. Et la pilule ne passait toujours pas d'ailleurs, des années plus tard. Heureusement, Jeffrey avait su me canaliser au fil des années sur ce sujet.
« Aucun problème, je m'en passe sans souci. » lui avais-je répondu. Puis j'avais insisté en ajoutant « Juste du sucre, ça ira très bien. »
Je l'avais suivi jusqu'à la machine à café, posée tout près d'un petit frigo dans un coin qui ressemblait à un espace de pause détente. Nul doute qu'ils en avaient parfois surement bien besoin, avec leur boulot.
« Mais je peux te chercher un latte ou autre chose au café du coin, tu as dû le voir en arrivant. » Je ne pu m'empêcher de sourire devant son insistance. Il voulait bien faire. « Ça va Jeff, du sucre et c'est parfait. Merci... »

Les bras croisés, je parcourais le lieu d'un regard, en attendant que les cafés soient prêts. Très vite, mon attention fut à nouveau happée par l'homme qui se tenait près de moi.
« Ça va, ta mère tient le coup ? » La question me serrait la gorge. Voilà plusieurs semaines que papa avait été enterré. Il avait fallu faire face et se serrer les coudes en famille. « Elle est très forte... » avais-je commencé à répondre. Puis je redressais les yeux vers lui jusqu'à croiser son regard. « Elle ne se plaint jamais, j'ai beaucoup d'admiration pour elle. » ajoutais-je, pensive. Le travail de deuil avait commencé, et ma mère ne s'était pas laissée sombrer. C'était une femme qui avait toujours eu de la ressources, même en affrontant les pires épreuves de la vie.

« C'est à Raph que j'en veux beaucoup. » avais-je ajouté, me détournant alors de Jeffrey de crainte que mon visage ne trahisse mon trop-plein d'émotions. Je me retrouvais face à la baie vitrée qui donnait sur la rue. Raphael était rentré pour les obsèques de notre père, et les tensions étaient à leurs combles avec mon jumeau. Voilà quelques jours qu'il était reparti vers sa vie qu'il s'était bâti, loin de nous et sans réellement chercher à arrondir les angles.

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