Cela faisait maintenant quelques mois que j'étais rentré sur Los Angeles pour y retrouver mes proches. La France, l'Angleterre me manquaient parfois, mais je ne regrettais en rien mon choix. J'étais tellement heureuse de pouvoir profiter de Sanaa, Jaimie et de Seth comme avant et évidemment de toutes les autres personnes qui m'étaient proches. C'est pourquoi je me rendais au garage Riderson. Je n'avais pas vraiment eu l'occasion de parler à Matthew depuis mon retour, de prendre de ses nouvelles et pourtant, Dieu sais que je l'adorais ce mec. Évidemment, me rendre au garage, c'était synonyme de croiser Jeffrey, mais j'étais de retour sur Los Angeles et que se soit au garage , chez Sanaa ou n'importe où ailleurs, j'avais autant de chance de tomber sur lui alors ici ou ailleurs ...

Histoire de profiter au maximum de mon ami, j'avais décidé de m'y rendre sur l'heure du midi juste avant qu'il ne ferme leur porte et j'avais pris de quoi manger, histoire de ne pas arriver les mains vides. En descendant de la voiture, j'entendis du bruit dans l'atelier et je m'y rendais sans passé par l'accueil. "Y'a quelqu'un ? J'apporte des pizzas" Dis-je en arborant un joli sourire. J'aperçus une silhouette puis le visage de Jeffrey se révéla à moi. Mon sourire diminua légèrement, mais je m'adresse à lui en toute politesse. "Bonjour, Jeffrey. Excuse-moi de te déranger. Je venais voir si Matthew était là ?"

Sans grande surprise, Jeffrey ne semblait pas ravis de me voir ici et bien évidemment il ne s'en cachait pas. Rien d'extraordinaire au fond, il n'était pas du genre à te caresser dans le sens du poil pour te faire plaisir. C'était même probablement sa pire qualité. Si l'on ne savait pas souvent à quoi s'attendre avec lui, il ne fallait pas bien longtemps avant d'être fixé. Et dans ce cas précis, il lui fallut à peine une minute pour m'envoyer balader. Je levais instantanément les yeux au ciel tout en lachant un soupir d'agacement. Puis je fis volte face pour prendre la direction de la sortie.

Pourtant je me ravisais, je m'arrêtais net dans mon élan et jettais un coup d'oeil derière moi. Jeffrey avait le nez plongé dans ses papiers, il ne bronchait pas d'un poil mais j'étais assez certaine qu'il espérait qu'en relevant son nez des papiers j'aurais disparue. Et bien, j'en avais décidé autrement. Il était peut-être temps qu'on s'explique clairement où du moins qu'on agisse en adulte responsable. On allait forcément se croiser ne serait-ce parce que notre cercle de connaissances était assez similaire. Ce serait donc dommage que nous nous privions d'un évènement juste pour ne pas nous croiser. J'étais de retour sur Los Angeles, ma ville de toujours et il allait, malheureusement pour lui, devoir faire avec.  Je n'avais pas envie de jouer aux chats et à la souris. Je m'approchais donc du comptoir et j'y posais mes pizzas avant de m'appuyer dessus, le regard fixement poser sur Jeffrey. " J'avais prévu de manger avec Matthew, tu sais quand il va revenir ?"

Ma visite impromptue au garage ne faisait clairement pas partie des bonnes nouvelles de la journée de Jeffrey. Je savais qu'il bouillonnait de l'intérieur, il sentait l'agacement et l'énervement à plein nez. Je n'avais pas besoin d'un master en analyse du comportement pour comprendre qu'il n'espérait qu'une seule chose, que je me casse au plus vite de son garage, pour qu'il puisse retrouver sa tranquillité. Malheureusement pour lui, mais moi, j'en avais décidé autrement. Matthew m'avait dit de passer pour le déjeuner et c'est ce que je faisais, j'allais donc attendre ici qu'il arrive. Adossé sur le comptoir, j'avais supposé que Jeffrey pourrait néanmoins me dire quand reviendrait son collègue. Supposition erronée, puisqu'il me fit comprendre que ce n'était pas son job de suivre les allées et venu de Matthew.  " Je suppose que tu dois avoir raison sur ce point. Il ne devrait pas tarder !"

Jeffrey s'afféra a ranger la paperasse sur laquelle il était, avant de désigner les véhicules entreposés dans l'atelier. À sa mâchoire crisper, j'en conclus qu'il n'était toujours pas ravis par ma présence dans les locaux et ça n'allait sûrement ne pas s'améliorer puisque je n'avais toujours pas l'intention de bouger. Je secouais la tête de gauche à droite. " Non, je t'en prie, tu peux aller jouer les mécanos et faire ce que tu as à faire". Dis-je tout en le suivant du regard alors qu'il s'éloignait. Je restais silencieuse quelques longues minute, regardant ma montre pour voir l'heure qui défilait. Il n'y avait toujours pas de Matthew à l'horizon, je crois bien qu'il m'avait posé un lapin à moi et mes pizzas.

Je lâchais un énorme soupir et esquissais une moue boudeuse et hésitante. Jeffrey semblait s'acharner sur ses véhicules en faisait tout son possible pour m'ignorer. J'attrapais alors une boite à pizza et me rapprochait de lui. "Je crois que Matthew a été retenu quelque part et j'ai toute cette pizza encore chaude." Je me stoppais un instant, à nouveau hésitante, puis me lançais finalement. "Peut-être que tu as faim ? Matthew m'a dit que tu serais sûrement là, alors j'avais prévu le coup." Je le fixais, les lèvres pincées, tout en ouvrant la boite pour faire parvenir l'odeur de la pizza chaude jusqu'à ses narines, dans l'espoir de le voir céder. "Après tout, ce n'est pas parce que tu détestes la fille qui te propose une part que tu dois te priver d'en manger. Et puis, de ce que je m'y connais en mécanique, il faut du carburant pour faire rouler les voitures." Je lavais intérieurement les yeux au ciel, on ne pouvait pas faire plus idiot comme remarque et pourtant, elle avait sa part de vérité. Il allait bien devoir manger pour tenir toute la journée la tête dans le cambouis. "En plus je sais que tu les aimes celles-la parce qu'elles viennent du petit italien en haut de la rue." Je lui lançais un sourire et un regard interrogateur. " Allez Jeffrey, tu peux quand même supporter de partager une part de pizza avec moi ! Je ne suis pas l'ennemie publique n°1 quand même !" Dis-je en lâchant un soupir.

Je sentais bien que lui dire qu’il pouvait ‘aller jouer les mécanos ‘ n’avait pas, aux oreilles de Jeffrey, été reçu de la meilleure des manières. Son agacement clairement visible en était la preuve. J’avais bien conscience de la bourde que je venais de commettre, une idiotie qui n’allait pas jouer en ma faveur. Pour autant, il n’y avait là aucune mauvaise pensée. Au contraire, ça avait même réveillé en moi un vieux fantasme, qui n’avait probablement rien à faire là à vrai dire. Mais pour le moment, je me pinçais les lèvres, tout en me traitant mentalement d’abrutie et je l’observais s’éloigner sans chercher à l’en empêcher. De toute manière, il n’y aurait sûrement rien de bon à ça. Je détestais clairement cette tension constante qu’il y avait entre lui et moi. Évidement, j’avais conscience que les choses n’allaient pas s’arranger par mon simple retour et encore moins si j’arrivais à l’agacer à chaque fois que je prononçais un mot, mais ça ne voulait pas dire que j’acceptais cette situation. Mais au fond, c’était certainement plus facile pour moi de ne pas aimer cette situation, puisque j’étais la seule à l’heure actuelle, à vouloir qu’elle change.

Je restais donc quelques minutes dans mon coin. L’occasion de laisser de l’air à Jeffrey et de me demandant ce que pouvait bien faire Matthew. J’attrapais mon téléphone pour voir si je n’avais pas eu un appel ou un message que j’aurais pu rater, mais il n’y avait rien de tout ça. Mon fond d’écran était vierge de toute notification. Je soupirais longuement avant de me décider à lui envoyer un message pour avoir des nouvelles. Je savais bien qu’entre les deux hommes, c’était clairement tendu et Matthew savait aussi très bien que Jeffrey et moi ne tiendrions probablement pas dans la même pièce sans que l’un des deux n’en ressorte dévasté et aujourd’hui, j’étais bien pressenti pour le rôle.

Voyant que Matthew, ne me donnait pour l’instant aucune nouvelle, je me décidais à aller rejoindre Jeffrey dans l’atelier, une pizza dans les mains. Midi était clairement passé et Jeffrey n’avait probablement pas mangé, tout comme moi. Je tentais de le décider à manger avec moi, histoire que je ne sois pas venu totalement pour rien et en même temps pour tenter de découvrir si notre lien quel qu’il soit était définitivement rompu ou si j’avais encore une petite chance de réussir à me faire pardonner et à arranger les choses entre nous. Je restais temporairement sans réponse, parce que je l’entendis pester. Quelques secondes, plus tard, j’aperçus le sang dans la paume de sa main et ne pus retenir un sursaut. Une grimace vint s’installer sur mon visage alors qu’il se rendait jusqu’au lavabo pour nettoyer sa plaie. Je me rapprochais tranquillement de lui et m’apprêtais à lui demander si ça allait, mais il prit la parole en premier. Mon regard se posa sur son visage et je lui souriais timidement avant de réaliser que c’était sa manière polie de refuser mon offre et surtout de découvrir ce que je faisais vraiment là, comme si tout ceci n’était qu’une mascarade. « Je te l’ai dit Jeffrey, je devais manger avec Matthew et si j’ai pris ta pizza préférée, c’est parce que Matthew m’a dit que tu serais là. Je voulais simplement être sympa. Au fond, tout ce que j’espère, c’est qu’on arrivera, un jour, à s’entendre à nouveau, pour nos amis, pour Jaimie et je l’espère peut-être pour nous. Et si pour ça, il faut que j’accepte les pics, les injures où je ne sais quoi d’autre, alors je me dis que ça en vaut le coup ».

Je l’observais se débrouiller avec la trousse de secours et j’avais envie de l’aider, mais je craignais qu’il n’accepte pas le coup de main. Au même moment, mon téléphone se mit à sonner dans ma poche. Je profitais de ce petit temps pour regarder et constater qu’il s’agissait de Matthew. « Matthew ne viendra pas, il a été retenu ailleurs et à oublier de me prévenir ». Dis-je en lui montrant machinalement le message affiché sur l’écran de mon téléphone. J’étais légèrement déçu, parce que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas passé un moment avec Matthew. La dernière fois remontant à l’une de ses visites surprise pour Ruby à Paris, ce qui commençait à dater. Pour autant, je n’allais pas pouvoir y faire grande chose, les imprévus n’étaient rien d’autre que des imprévus après tout. Je reportais alors mon attention sur les gestes de Jeffrey, alors qu’il désinfectait sa main. Instinctivement, j’attrapais la bande de gaze qui servait à nettoyer la plaie pour le faire à sa place. Je restais silencieuse, tout en prenant soin de faire attention à mes gestes. Je finis par lui mettre un bandage pour que sa blessure reste protéger pour le restant de la journée. « Voilà, ça devrait tenir jusqu’à ce soir. Et maintenant tu vas pouvoir te réjouir, je vais te laisser tranquille. Je crois que je t’ai assez dérangé comme ça. En plus, je sens que tu es à deux doigts de mettre mon cadavre dans le coffre d’une de ces voitures. » Je tentais de faire un peu d'humour avec l'espoir que Jeffrey serait assez cool avec moi pour en rire.

L’ambiance était pesante, assez pesante pour que Jeffrey en arrive à se blesser. Dire que ce n’était pas de ma légèrement de ma faute, serait probablement faux, puisqu’il était tendu et distrait par ma présence. J’en avais conscience, mais c’était peut-être l’une des rares opportunités que j’aurais d’avoir une conversation avec lui. Alors quand il m’interrogea sur ce que j’attendais de lui, je décidais de ne pas passer par quatre-chemins et de lui faire part de ce que j’aimerais que soit les choses entre nous. Jeffrey faisait partie de mon passé, mais il faisait qu’il le veuille ou non aussi partie de mon présent. Et je n’avais pas l’impression d’être trop exigeante en espérant qu’on puisse un jour s’entendre à nouveau. Je n’espérais pas qu’il me pardonne, qu’il succombe à nouveau à mon charme ou plus encore. Il avait bien trop de rancœur envers moi, mais ce que j’espérais, c’était simplement qu’on puisse être lui et moi dans un même endroit sans qu’il ne détourne le visage en me voyant, sans que notre présence à tous les deux ne nous amène comme maintenant à ce que l’un se retrouve blesser. Mais je savais que ce ne serait pas aussi simple, qu’il ne suffirait pas que je lui demande pour qu’il le fasse. Je le connaissais assez pour savoir comment il était. Alors si pour que ça arrive, il fallait que je supporte ce qu’il pouvait être de pire, étonnamment, j’y étais prête.

«Et je t’ai entendu Jeffrey. Tu m’as demandé une explication et je te l’ai simplement donné. Mais sérieusement Jeffrey ? Est-ce qu’au moins tu te rends compte de ce que tu insinues ? Jaimie ne sert en rien mes intérêts personnels. Il ne fait pas partie d’un plan machiavélique pour te récupérer ou me rapprocher de toi. Seulement, il fait partie de ma vie, et cela, depuis bientôt 13 ans maintenant. Comme Sanaa et bien d’autres font aussi partie de ma vie et de la tienne. Tu veux te rapprocher de Jaimie, de ton fils et je trouve ça sincèrement génial, mais ça veut dire que tu devras également faire avec les gens qu’il aime et que ça te plaise ou non j’en fais partie. Alors, non, je ne me sers pas de Jaimie, je ne me servirais jamais de lui, je ne suis pas cette manipulatrice que tu essaies de te convaincre que je suis. Je pense simplement à lui et il traverse déjà bien assez de choses pour que toi et moi, on n’en rajoute pas une couche devant lui, avec nos histoires personnelles. Alors excuse-moi de vouloir espérer sincèrement qu’on puisse un jour se trouver dans la même pièce sans que ça ne se termine mal ou que l'on rende l'ambiance insoutenable pour nos proches. » Mon regard se posa sur lui, les lèvres pincer en signe d’un léger agacement. J’étais peut-être prête à ses attaques, mais ça ne voulait pas dire que je resterais là sans riposter. « Je n’ai pas dit que tu m’avais insulté, j’ai dit que j’étais prête à les accepter si il devait y en avoir. Par le passé, tu n’y as jamais eu recours, mais ça ne veut pas dire que ça n’arrivera jamais. Après tout, tu as de quoi me reprocher et de quoi me détester.»

Matthew me faisait faux bond, voilà ce qu’indiquait son message. Au fond, je crois que je l’avais déjà compris, mais au moins, c’était confirmé. J’en fis part à Jeffrey pour mettre fin à toute suspicion de plan machiavélique, puisqu’il semblait croire que j’étais devenu une manipulatrice hors pair. Et en entendant sa remarque, je ne pus m’empêcher de rire. Un rire d’agacement qui me fit relever les yeux en sa direction. Je le fixais quelques instants en silence, avant de secouer la tête, préférant ne rien répondre. J’aurais pu alors le laisser se démerder avec son bandage, mais j’attrapais son bras et je m’occupais de le lui faire en silence. Je ne repris la parole que lorsque celui-ci fut enfin achevé. J’estimais qu’il était temps de le laisser tranquille, je crois qu’il m’avait bien assez supporter et Matthew ne venant plus , je n’avais plus vraiment de raison de rester, même si une partie de moi aurait espéré pouvoir le faire. Jeffrey m’avait terriblement manqué durant toute ses années et quelques minutes pesante ou non, restait quelques minutes avec celui dont j’étais encore amoureuse. « Je t’en prie. » Je lui fis un sourire timide avant d’inspirer profondément, prête à quitter l’atelier, mais les paroles de Jeffrey me stoppèrent. Je replongeais mon regard dans le siens pour y lire la sincérité de ses mots. « Je sais Jeffrey… c’est bien pour ça que je me déteste. » Je tentais de sourire, mais je sentis une larme couler sur ma joue. J’étais prise d’un élan de culpabilité. Je l’essuyais rapidement, soufflant un bon coup pour tenter de me redonner une contenance. « Bref, je devrais peut-être y aller. »