Comme chaque fois, Ruby avait sa fameuse visite de contrôle à l’hôpital. C’était presque devenue une sorte de rituel pour la jeune femme. Depuis quatre ans, elle passait au moins un jour par mois à l’hôpital. Au début, c’était au minimum trois fois par semaine, mais heureusement aujourd’hui, elle n’avait plus besoin de s’y rendre aussi souvent. Depuis le jour où sa vie avait complètement changé, l’hôpital était devenu presque une seconde demeure pour la brunette. La vie de la demoiselle Turner était digne d’un film d’action, mais elle n’aimait pas la raconter dans les détails. Elle servait en général, la version soft en disant, qu’elle s’était faite renverser par une voiture. La vraie version était plus inquiétante. Seule la famille et les amis proches de Ruby connaissaient, les réelles circonstances de son accident, qui n’en était pas vraiment un. Et encore, la jeune femme n’avait raconté que les grandes lignes. Elle ne racontait pas les détails simplement parce qu’elle n’y arrivait pas et qu’elle ne voulait pas inquiéter ses proches plus que nécessaire. Bien qu’aujourd’hui, il n’y avait plus d’inquiétude à avoir.

Ruby avait rendez-vous avec un nouveau kinésithérapeute. Celui qui suivait la jeune femme était parti à la retraite. C’était le troisième kinésithérapeute que la demoiselle Turner rencontrait en quatre ans. Elle voyait l’hôpital et le personnel changeait au fur et à mesure des mois qui défilaient. Le temps passait tellement vite. Comme à son habitude, la brunette arrivait un peu en avance et elle patientait dans la salle d’attente. Pile à l’heure du rendez-vous, le nouveau kinésithérapeute vient à sa rencontre. La jeune femme se levait en lui tendant la main pour le saluer. « Bonjour. Je suis ravie de vous rencontrer Monsieur Scott… Je vais bien, je vous remercie merci. » Cela faisait quelque temps que les fashions-weeks s’étaient achevées. Ruby avait eu le temps de récupérer et de reposer des jambes sur lesquelles, elle avait tendance à trop forcer, durant ses trois ou quatre semaines de travail à l’étranger, principalement en Europe.

Depuis son accident le fameux 9 mars 2014, Ruby en avait fait du chemin. Elle savait, qu’elle était très chanceuse. Elle pensait même, qu’elle avait sûrement une bonne étoile, qui veillait sur elle. La demoiselle Turner se plaisait à dire, qu’il s’agissait de son frère, Ylan, parti trop tôt. Cela fait maintenant onze ans, c’était à la suite d’une maladie pulmonaire qui avait depuis sa naissance. C’était une pensée réconfortante de se dire qu’il s’agissait d’Ylan. Elle pensait qu’en étant plus là auprès d’elle physiquement, il continuait à protéger sa petite sœur malgré tout. Il était là pour elle, d’une certaine façon, comme il l’avait toujours fait de son vivant.

En dehors de cela, Ruby était également une jeune femme déterminée et forte. Certains médecins lui disaient, qu’elle n’arriverait probablement plus jamais à marcher. On lui demandait même de se faire à l’idée de passer le restant de sa vie dans un fauteuil roulant. La demoiselle Turner ne voulait rien entendre de tout cela. Pour elle, c’était purement et simplement inconcevable. Elle ne pouvait et ne voulait pas vivre de cette façon. Elle qui avait toujours été très active, comme une pile électrique, elle ne pouvait jamais rester en place. Donc être cloué dans un fauteuil roulant serait une vraie torture pour elle. Elle ne s’y ferait jamais et elle ne s’épanouirait plus jamais. Ruby avait alors tout fait pour remarcher, quitte à se faire du mal. La jeune femme ne voulait pas être toute sa vie dépendante d’un fauteuil. Pendant plusieurs mois, sa seule pensée, sa seule motivation, son seul objectif était de tenir sur ses deux jambes et d’être capable de faire un pas après l’autre. Après le long mois, avec de la persévérance, beaucoup de soutien et un kinésithérapeute qui croyait vraiment en elle, la demoiselle Turner était à présent capable de tenir sur ses deux jambes. Certes, elle avait besoin de l’aide de ses béquilles, mais c’était déjà une immense victoire pour Ruby. Elle n’en demandait pas plus, elle savait déjà que les progrès, qu’elle avait fait été au-delà de ses espérances.

Aujourd’hui, Ruby avait l’occasion de rencontrer le nouveau kinésithérapeute de l’hôpital. Ce serait dorénavant par lui que la jeune femme serait suivie. Chris Scott était jeune et il devait exercer depuis seulement quelques années. Mais il avait l’air plutôt sure de ce qu’il faisait. Puis s’il avait été engagé ici, c’est qu’il était bon dans son travail. Ruby n’avait de toute façon pas d’autre choix que de lui faire confiance. La jeune femme avait déjà remarqué que le prédécesseur de Chris écrivait très mal. Elle n’était donc pas surprise que son nouveau kinésithérapeute n’arrive pas à décrypter ces sortes de hiéroglyphes. « Oui, j’ai pu constater que son écriture était indéchiffrable et qu’il était encore de la vieille école. » Ruby sourit avant de reprendre pour raconter un peu son parcours avec l’ancienne kinésithérapeute. « Donc j’ai été renversé par une voiture, il y a quatre ans. Je suis restée environs un an en fauteuil roulant et j’ai recommencé seulement six mois après l’accident la rééducation. Elle a été plutôt compliquée. Il m’a fallu un peu plus d’un an pour pouvoir tenir debout et faire de petites distances avec l’aide de mes béquilles. Depuis, je fais de plus en plus de distances et je me permets parfois de me déplacer avec une seule béquille. Maintenant, j’ai des séances de kiné, un mois sur deux pour s’assurer que tout va bien. » De temps en temps, Ruby se faisait un peu disputer par le prédécesseur de Chris parce qu’elle forçait trop sur ses jambes. Notamment pendant les fashions-weeks où elle restait très souvent debout et où elle bougeait pas mal. Résultat des courses, la demoiselle Turner se retrouvait avec de fortes douleurs aux jambes que seuls des médicaments pouvaient calmer.

Lorsque Chris lui avait parlé, Ruby avait révélé un accent chez lui. La brunette ne pouvait s’empêcher d’engager la conversation à ce propos. « Vous venez d’Angleterre ? Je suis désolé, je n’ai pas m’empêcher de remarquer votre accent. » Il y a quelques semaines encore, la demoiselle Turner se trouvait à Londres pour les fashions-weeks. Avant même d’être mannequin ou même agent de mannequins, Ruby aimait les trois villes européennes où elle exerçait son métier au moins trois fois par an, Londres, Paris et Milan. D’ailleurs, Ruby avait vécu presque deux ans à Milan et elle faisait fréquemment des allers-retours à Paris et à Londres avant de revenir sous le soleil californien, il y a quelques années. On retourne toujours un jour ou l’autre vers ses racines. Pour Ruby, c’était Los Angeles.

Ruby plaignait un peu son nouveau kinésithérapeute. Il allait vraiment s’amuser à déchiffrer tous les dossiers, qu’avaient rédiger son prédécesseur. Malheureusement pour lui, il allait à chaque fois perdre un temps considérable. Afin de lui faciliter un peu le travail, la demoiselle Turner faisait un résumé rapide de son histoire à Chris. Évidemment, elle énonçait seulement les moins importants de son cas. Autrement, ils en auraient probablement pour des mois, si elle rentrait dans les détails. La vie de Ruby était un véritable film d’action avec un bon nombre de péripéties, une véritable télénovela. La jeune brune préférait donc épargner tout cela à son nouveau kinésithérapeute. Chris lui disait qu’il tenterait de rendre les séances agréables et qu’elle se déparasse de ses béquilles. « Je vous remercie pour ça. Mais ce n’est pas trop grave si je garde les béquilles. Je suis consciente que j’ai déjà beaucoup de chance de pouvoir tenir sur mes deux jambes et de marcher. » Surtout, quand elle repensait au pessimisme dont faisait preuve certains de ses anciens médecins.

La demoiselle Turner avait remarqué l’accent de Chris. C’était un accent qu’elle connaissait bien. La brunette avait eu l’occasion de travailler et de discuter avec de nombreux Britanniques. Elle faisait la remarque à son interlocuteur en espérant qu’elle ne le gênerait pas. Son kinésithérapeute se moquait un peu d’elle, en lui disant qu’il venait de Séoul en Corée du Sud. Ruby rit en disant. « Ah oui, que suis-je bête. Maintenant que vous le dites. Ça se voit tout de suite. » Chris reprenait son sérieux en lui offrant une réponse honnête. « Je suis donc entre d’excellentes mains si vous avez fréquenté le meilleur centre de formation médicale d’Europe. C’est assez rassurant. » La demoiselle Turner pouvait donc lui faire confiance pour la suite de sa rééducation. Elle le trouvait également très mignon d’avoir emménagé à Los Angeles pour amour pour sa femme. « C’est tout à votre honneur d’être venue ici pour votre femme. Peu de personne aurait accepté de tout quitter même par amour. » Ruby elle-même ignorait si elle serait capable de suivre Matthew s’il décidait de vivre à nouveau en Espagne. Elle ne se voyait pas vivre ailleurs qu’à Los Angeles. Elle avait vécu dans d’autres villes, mais elle ne s’était jamais réellement senti chez elle.

Ruby ne se faisait pas de faux espoir et elle se contentait de ce qu’elle avait. Ces progrès avaient été au-delà de ses espérances. Elle ne voulait pas courir après un objectif qu’elle n’atteindrait probablement jamais. Elle préférait profiter du moment avec les possibilités qu’elle avait actuellement. Finalement, sa vie n’était pas si mal. Elle gérait plutôt bien son handicap et son petit ami l’acceptait également. La demoiselle Turner avait beaucoup de chance à ce niveau-là, elle en était consciente. Le handicap pouvait être un obstacle, mais Matthew passait au-dessus. Il avait même eu la délicatesse d’aménager sa maison en fonction du handicap de sa petite amie avant même de savoir si elle accepterait ou non d’aménager avec lui. Chris proposait un compromis à Ruby. La brunette sourit avant de lui répondre. « Je pense que c’est une excellente idée. Troquer mes béquilles pour une canne ça semble faisable et ce serait beaucoup mieux. » Mieux niveau pratique, mais également esthétiquement surtout pour une personne qui travaille dans la mode. La demoiselle Turner savait qu’elle faisait un peu tache lors des défilés ou des fashion-week avec ses béquilles. Même si elle était toujours cachée dans les coulisses la plupart du temps.

Chris plaisantait quand Ruby lui faisait une remarque sur son accent qui révélait ses origines. La brunette était rentrée volontiers dans son jeu. Elle aimait bien les personnes avec de l’humour quel qu’il soit. Elle s’adapte toujours assez facilement. Son kinésithérapeute avait repris assez rapidement repris son sérieux pour répondre sincèrement à la demoiselle Turner. Il avait également révélé l’endroit où il avait fait ses études. Ses références étaient très bonnes ce qui rassurer la jeune femme. Elle ne voulait pas confier sa santé à n’importe qui. L’hôpital de Los Angeles était un bon établissement de santé, elle se doutait qu’il était assez exigeant dans le recrutement de leur personnel. « Je ne sais pas si c’est rassurant ou pas. Est-ce que vous êtes en train de vous vanter ? » Demande Ruby avec humour.

Le kinésithérapeute avouait à Ruby les raisons qui l’avaient poussé à emménager à Los Angeles. Ses raisons avaient suscité l’admiration de la jeune femme. Elle ignorait si elle en serait capable. Elle espérait même ne jamais avoir cette décision à prendre un jour. Ce serait un véritable dilemme pour la demoiselle Turner. « Félicitations pour votre mariage… Oui, désolé, j’ai fait ma curieuse. Mais, oui, je suis venue pour une séance de kiné. » Ruby espérait ne pas être allée trop loin dans sa curiosité. Puis s’il n’avait repris son professionnalisme, elle aurait pu continuer à l’interroger pour en savoir plus. Parfois, la jeune femme pouvait être à la fois trop curieuse ou trop bavarde voire les deux à la fois.

Ruby acceptait le compromis, que lui proposé son nouveau kinésithérapeute. Si, la demoiselle Turner avait la possibilité de se promener avec une simple canne, pourquoi pas ? La jeune femme était prête à tenter le coup, après tout ça ne coûter rien. Puis comme on dit, qui ne tente rien, n’a rien. Ruby était assez ravie par l’optimisme de Chris. Il était très différent de son prédécesseur. Ce dernier avait annoncé à la brunette, qu’elle était arrivée à l’apogée de sa progression et qu’elle ne pourrait pas aller plus loin. La jeune femme avait accepté cette idée, même si au début ça avait été difficile pour elle. Mais finalement, elle avait su avancer malgré l’obstacle, que représentaient ses jambes. Elle avait même réussi à se créer une nouvelle carrière. Toujours dans le domaine, qu’elle adorait : la mode et le mannequinat. Même si elle ne faisait plus partie des personnes qui défilent sur les podiums, son travail contribue à faire d’elle, une femme heureuse.

Quand Chris annonçait, qu’il avait déjà créé un miracle, la jeune femme lui avait répondu avec humour. Il lui décrivait le miracle et il était loin de ce que Ruby imaginait. Mais son histoire était attendrissante. On pouvait aussi voir, qu’il était vraiment très amoureux de la femme qui partage sa vie. « C’est déjà bien d’en avoir réalisé un, au moins. Certains n’en ont jamais la chance. » Dit-elle avec le sourire. La jeune femme le félicitait également pour son mariage. Un événement qu’elle ne vivrait probablement jamais. Ruby sortait avec un homme allergique au mariage qui en avait également vécu plus ou moins deux totalement raté. Donc, il ne voulait pas reproduire la même erreur avec la demoiselle Turner. « Je vous en prie. »

La jeune femme suivait Chris jusqu’aux barres où pourrait commencer la séance de kinésithérapie pour laquelle Ruby était venue. Elle attendait maintenant simplement les consignes.