Avec Octavia, on avait décidé d’acheter un chien pour avoir un peu d’animation et de compagnie. La maison était bien calme, c’est vrai qu’il y avait bien longtemps que Ruby avait quitté le cocon familial. Mais son absence n’avait jamais été aussi pesante qu’en ce moment. Elle venait nous rendre visite de moins en moins. Cela faisait presque trois ans qu’elle avait appris notre secret et pourtant les choses ne s’arrangeaient pas. Apparemment, ma fille avait pardonné totalement à Octavia la considérant comme l’une des victimes de l’histoire. Quant à moi, elle me parlait simplement parce qu’elle estimait que j’étais au fond un homme bien et que je ne méritais pas de perdre un autre enfant après la disparition d'Ylan, il y a dix ans maintenant. Si son absente se faisait autant ressentir, c’est peut-être parce que le couple que je formais avec Octavia partait en morceau. On se parlait de moins en moins et au final, c’était comme si nous étions chacun seul à la maison.

Nous étions samedi matin et je décidais de courir un peu en compagnie du chien. J’essayais de rester un peu en forme en faisant de l’exercice assez régulièrement. Pour cette petite course matinale, j’avais décidé de me rendre au parc. C’était un endroit plutôt agréable. Un endroit de verdure en plein milieu de la ville ça faisait du bien. Je n’avais pas attaché le chien, il était plutôt obéissant. Mais pour une raison que j’ignorais, il s’était dirigé vers un jeune homme. « Nyx revient là. » J’attrapais mon chien et je lui accrochais sa laisse avant de me tourner vers le jeune homme. « Veuillez m’excuser, je ne sais pas ce qu’il lui a pris… » Je m’arrêtais net en reconnaissant le jeune homme. Il s’agissait de Logan. Mon fils, le frère jumeau de Ruby. Je ne m’étais jamais retrouvé nez à nez avec lui. Saleté de chien !

Ce matin, en me réveillant, je n’aurais jamais imaginé que le chien, que je venais d’adopter, il y a quelques semaines me conduirait à me retrouver, nez à nez avec Logan. Le fils que je n’ai jamais eu la chance de connaître. Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais eu le courage de venir lui parler. J’avais imaginé qu’il avait le même caractère bien trempé que Ruby et que je devais attendre avant de lui parler. Mais j’avais conscience que j’avais attendue bien trop longtemps. Il me rendait mon chien et je me contentais de lui dire « Merci » quand il me lançait un simple « Bonne journée ». Je le regardais s’installer sur un banc. Je décidais donc de prendre une longue respiration avant de prendre mon courage à deux mains. J’avançai vers lui en lui demandant. « Est-ce qu’on pourrait parler s’il te plaît ? » Je tournais ensuite le regard vers la direction que fixait Logan. Une petite fille jouait, je posais alors une nouvelle question. « C’est ta fille ? » Je sais que je n’aurais sûrement jamais l’occasion de rencontrer mes petits-enfants et ça me fendait réellement le cœur. Je n’aurais probablement jamais la chance qu’un jour, on m’appelle Papi ou avec un tel surnom du genre. Ma fille Ruby avait renoncé à l’idée d’avoir un enfant à cause de son stupide petit ami. J’espère seulement qu’elle changera d’avis et que si ce n’est pas le cas, qu’elle ne le regrettera pas.

Je n'aurais jamais pensé que ma première rencontre avec mon fils, après la révélation se ferait de cette façon. Pour être honnête, je n'avais jamais cherché à imaginer ce moment. Je sais que Logan doit énormément m'en vouloir, au moins autant que Ruby, si ce n'est plus. Ma fille faisait des efforts, mais je savais bien, qu'elle m'en voulait énormément. Elle m'avait bien fait comprendre que la seule raison pour laquelle, elle m'adressait encore la parole, c'était en la mémoire d'Ylan. Son grand frère, qu'elle chérissait, le fils qu'Octavia et moi avions perdu trop tôt. Sans lui, elle aurait probablement coupé les ponts. Quant à Logan, lui n'avait aucune raison de vouloir me voir ou de me parler. Je le comprenais et je n'avais pas cherché à le joindre. Je lui avais laissé du temps pour diriger la nouvelle, mais sûrement trop de temps.

Maintenant que j'étais en face de lui, je ne pouvais pas rester indifférent. J'avais donc tenté de commencer une conversation avec lui. Sans surprise, Logan était froid. Il avait au moins ce point commun avec Ruby. Il savait faire savoir à une personne qu'elle n'était pas la bienvenue au simple ton de sa voix. « Je sais que j'ai vingt-huit ans de retard. Mais je n'ai pas voulu faire la même erreur qu'Ava avec Ruby. J'ai voulu te laisser le temps de diriger la nouvelle. Je pense que je t'ai laissé trop de temps. » Quant à ma question concernant l'enfant, Logan l'avait complètement ignorait. Je le comprenais, j'aurais probablement fait pareil.

Je le reconnais, j’étais en tort. J’avais pris trop de temps pour venir parler à Logan. Je dois aussi avouer que si je ne l’avais pas croisé ce matin par l’intermédiaire de mon chien, j’aurais probablement attendu davantage. Je ne savais vraiment pas comment me présenter à lui. Je ne pouvais pas venir face à lui dire et lui balancer un simple. « Hey, en fait, je suis ton père biologique. Moi, c’est Derek Turner. » Mais mon approche aujourd’hui n’était pas mieux. Avec le laps de temps écoulé, on aurait pu penser que je me serais préparé mentalement. Malheureusement, ce n’était pas du tout le cas. Il n’y avait pas de bons mots. Ava et moi avons bien merdé pour le coup et nous avions embarqué Octavia et Scott dans toute cette histoire. Je m’en serais terriblement voulu et jamais pardonner, si Ruby n’avait pas redonné une chance à Octavia. Je savais que ma femme avait besoin de notre fille et qu’elle ne s’en serait jamais remise, si elle l’aurait perdue. Perdre Ylan l’avait déjà totalement détruite et elle avait tenu le coup grâce à Ruby. « Honnêtement, je pense qu’il n’y aura jamais de bons moments pour se rencontrer. Le hasard l’a fait aujourd’hui, j’en profite. » Je ne voulais pas qu’il me pardonne ou qu’il me considère comme son père. Je voulais simplement discuter une seule fois avec lui. Savoir seulement le strict minimum à son sujet. Je n’attendais rien de lui. D’ailleurs, je n’étais pas en mesure de lui demander quoi que ce soit. J’ai perdu ce droit en renonçant à lui, le jour même de sa naissance. Il y a plus de vingt-huit ans aujourd’hui. Pour Logan, Ava avait fait preuve de plus de courage que lui, en confrontant Ruby directement. « Peut­-être, qu’elle a été plus courageuse que moi. Mais elle a choisi la mauvaise stratégie avec ma fille… Enfin, je veux dire avec Ruby. » Oui, c’était la fille, mais ce n’était peut-être pas judicieux de l’appeler ainsi face à Logan. « Je ne te demande pas de pardon ou d’apprendre à me connaître. Je comprends que tu n’en aies strictement rien faire. Je te demande seulement une petite conversation. J’aimerais seulement avoir la chance de connaître un minimum mon fils. Peut-être que tu ne veux pas faire ça en présence de ta fille et pour elle, je ne vais pas insister. Mais je pourrais peut-être t’offrir un verre, un jour ? »

Je profitais de cette rencontre pour enfin parler à mon fils. J’attendais cela depuis longtemps, mais je n’avais jamais su comment m’y prendre. J’en avais eu l’occasion et je l’avais saisi en prenant mon courage à deux mains. Mais Logan n’était pas du tout de cet avis. C’était prévisible. Il l’aurait préféré que je poursuive ma route comme si de rien était : une réaction totalement impossible pour moi. Pendant plus de vingt-huit ans, j’avais tout fait pour ne pas croiser sa route. Je savais que si je le croisais, je risquais de rompre le silence et de dire la vérité. Ces presque trois décennies n’ont pas été simple pour moi. Renoncer à un enfant n’avait rien de facile et c’était encore plus le cas quand en plus de cela votre fils vous quitte beaucoup trop tôt. Il n’y avait pas un jour sans que Logan et Ylan ne me manquait pas. Ruby aussi me manquait, elle limitait nos rencontres. Mais encore, je pouvais la voir encore quand je le désirais même si elle ne me réservait pas toujours le meilleur des accueils. « Je sais, j’ai fait le choix de te parler et de ne pas poursuivre ma route. » Pour moi, Ava n’avait pas adopté la bonne méthode avec Ruby en lui forçant à lui parler. La brunette avait la fâcheuse habitude de faire le contraire de ce qu’on lui dit. Ça avait toujours été le cas avec elle, depuis toute petite déjà. Ruby a toujours été une véritable rebelle dans l’âme. « Non, il n’y a pas de bonne stratégie… Je suppose qu’on fait comme on peut. » En tout cas, c’était mon cas. Logan ne voulait pas me parler. Il ne me regardait même pas. Son regard était rivé sur sa fillette. Je décidais de ne pas insister puis je ne voulais lui forcer à parler devant sa fille. Sait-on, jamais, le ton pouvait vite monter. Il avait certainement des tonnes de reproches à me faire. Je lui proposais donc de lui offrir un verre pour discuter au moins une seule fois. À ma grande surprise, Logan acceptait un café dans deux heures, j’étais ravie. Je hochais positivement la tête en lui disant. « D’accord dans deux heures dans le café du coin. Merci. » Je récupérais mon chien en regardant une dernière fois mon fils et sa fille avant de reprendre mon jogging matinal. Je rentrais chez moi, j’y déposais le chien, je saluais ma femme qui venait de réveiller. Je prenais une douche et m’habillai avant de me diriger vers le café en question. J’avais évité de le dire à Octavia. Cela faisait peut-être vingt-huit dans, mais je sais que cette histoire affectait toujours ma femme. J’étais un peu en avance. Je m’installais à une table où je pouvais bien voir la porte d’entrée et j’attendais l’arrivée de mon fils.