It's not the same as it was

feat. Lola & Raph

Quelques semaines étaient déjà passés depuis son retour à Los Angeles. Combien, Raphael ne les avait pas vraiment comptés. Le faire serait admettre le temps qui était passé depuis que son père avait quitté ce monde, et il n’était pas prêt à le faire. Tout comme il n’était pas encore prêt à repartir, à reprendre sa vie à Londres, loin d’ici, loin de ses anciens malheurs qui le suivaient toujours. Il savait pourtant qu’il ne devrait pas rester, qu’il y avait trop de risques. Croiser Juliet était bien la chose qu’il voulait éviter absolument, et plus il passait de temps ici, plus il se retrouvait proche de cette possibilité. Mais laisser sa mère et sa sœur, il n’en avait pas la force. Il ne l’avait plus.

Raph se trouvait d’ailleurs chez sa mère à cet instant. Même s’il avait fini par se prendre son propre appartement, il passait régulièrement au sein de la demeure familiale qui l’avait vu grandir pour lui tenir compagnie. Et c’était toujours aussi étrange pour lui de se retrouver ici sans son père. Il s’attendait toujours à le voir rentrer, ou bien sortir de la cuisine pour venir les rejoindre dans le salon. Mais ça n’arrivait jamais, évidemment. Il essayait, cependant, de garder la face devant sa mère. Elle n’avait pas besoin de voir la souffrance sur son visage alors qu’elle la ressentait déjà bien assez. Et qu’elle en était d’ailleurs épuisée.

C’était lui qui lui avait suggéré de partir s’allonger, de se reposer. Et pendant ce temps, il était en train de mettre un peu d’ordre dans les pièces communes de la maison. Les amis de la famille avaient rapporté tellement de choses que sa mère s’était rapidement retrouvée débordée avec tout ça. Il était d’ailleurs en train de trier les bouquets de fleurs quand il entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Un regard levé vers l’entrée, il aperçut alors sa sœur qui venait juste d’arriver.

« Salut, Lola. »

Même après des semaines, c’était toujours compliqués à chaque fois qu’ils se croisaient. En fait, ça n’était pas arrivé depuis l’enterrement. Raph ne savait pas vraiment lequel des deux évitait l’autre, pour être totalement honnête. Mais ce n’était clairement pas une situation qui lui plaisait, bien au contraire d’ailleurs. Ils étaient si proches avant que tout ça lui paraissait assez surréaliste.

« Maman est montée se reposer. Tu voulais la voir ? »

Sans doute, sinon elle ne serait pas là. Question idiote, sans aucun doute, qui était surtout là pour meubler ce silence pesant.

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Le réveil avait été difficile ce matin. Je m'étais levée chafouin, subissant l'assaut des vertiges et nausées comme au quotidien depuis une quinzaine de jours maintenant. De toute évidence la fatigue ne m'épargnait pas, les dernières semaines avaient été rudes. Malgré ça, un sombre doute me hantait, mais je préférais faire l'autruche.

Chaque matin, devant le miroir de la salle de bains, je ne pouvais m'empêcher de sortir d'un tiroir du meuble sous le lavabo une photo vieille de 19 ans, sur laquelle on voyait papa, Raphael et moi en pleine course poursuite dans le jardin. Des sourires à vous crever la vue. Et les rires, qui raisonnaient encore à l'intérieur de moi. Maman avait su immortaliser l'instant dans toute sa splendeur.

« Si tu savais à quel point tu nous manques... » avais-je murmuré en glissant mon doigt sur le visage de papa.

Il avait toujours été le pilier de la famille. La colle qui nous cimentait les uns aux autres, le moteur dans les mauvaises périodes et il avait toujours su veiller et prendre soin de sa famille.

Même lorsqu'il avait déclaré son cancer, quelques temps après le départ de Raph, il avait su se montrer optimiste lors des premières années. C'était tout simplement mon héros, et le voir partir avait été un déchirement, sans parler de la douleur de ma mère qui avait été dure à gérer.

Ce matin, lorsque mon état s'était amélioré, j'avais décider de passer faire un tour à la maison, vérifier que maman n'avait besoin de rien. Rien hormis de la compagnie, peut-être... J'avais donc quitté la villa, laissant derrière moi Ulrick encore endormi en compagnie de Swan, notre adorable matou. Pour ne rien arranger, mon couple battait de l'aile depuis plusieurs mois maintenant. Alors il m'arrivait souvent de fuir la villa, afin de me retrouver le moins possible en présence de mon compagnon, avec qui j'étais depuis bientôt 5 ans maintenant. L'occasion de retrouver ma mère tombait donc à point nommé !

J'arrivais donc devant la maison familiale, et mon regard fût attiré par la boîte aux lettres débordant de courriers et de prospectus. Maman se laissait vraiment aller, la pauvre. Je sortais donc mon trousseau de clés, ouvrant la boîte afin de tout récupérer. Puis, m'engageant dans l'allée, ma main se posait sur la poignée et je remarquais que la porte n'était pas fermée à clés. Tandis que je pénétrais dans la propriété, j'appelais ma mère dans ce même élan...

« - Maman... ? »

Avant de tomber nez à nez avec la dernière personne que j'aurais cru voir dans le coin. Raphael. Mon rythme cardiaque s'accéléra, et j'ignorais qu'elle moue avait fait mon visage, mais très vite celui-ci se renferma. Mon regard bleu glace le transcenda, ma mâchoire se crispa et je déglutis avec difficulté.

« Salut, Lola. »

Sa voix raisonna jusque dans mes tripes, et j'étais partagée entre lui en coller une, m'effondrer en larmes, ou lui hurler dessus jusqu'à l'extinction de voix.

« - Raphael. » C'était sorti difficilement de ma bouche, mais l'amertume à travers mon timbre de voix ne faisait aucun doute.

« Maman est montée se reposer. Tu voulais la voir ? »

J'hésitais sur la réponse à donner. Puis je décidais de mettre le nez dans sa bêtise en lui répondant par une ineptie. J'espérais encore qu'il réalise à quel point il aurait été préférable qu'il se taise.
« - Non, je viens donner à manger aux plantes. » répondais-je sur un ton légèrement condescendant et humiliant. J'en profitais pour dépôser le courrier sur le secrétaire, situé juste à côté de la porte d'entrée.

« - Quitte à passer une fois dans l'année, quand tu te rappelles que t'as encore une famille, t'aurais pu prendre le courrier. » Si avec ça le ton n'était pas donné, je ne sais pas ce qu'il faudrait de plus. En même temps que ces mots sortaient de mes lèvres, je lâchais mon sac à main au sol et m'avançais vers l'escalier pour monter rejoindre ma mère. Je donnais pas cher de la peau de mon frère si je restais plus longtemps avec lui dans la même pièce.

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Rien n’allait, vraiment. Raphael pourrait se demander pourquoi ils en étaient arrivés là, à quel moment, mais ce serait sans aucun doute être beaucoup trop dans le déni de la situation, de ces dernières années. Il savait parfaitement comment ils en étaient arrivés là, et également qu’il en était le principal fautif. Est-ce qu’il regrettait cette décision prise il y a des années maintenant, il n’en était pas certain pour autant. C’était une décision qu’il avait prise par amour, pour Juliet. Un choix qu’il avait fait pour lui éviter toutes les souffrances qu’elle aurait dû endurer. Il avait pensé que c’était le mieux à faire, et il le pensait d’ailleurs toujours aujourd’hui. Qu’il souffre de son côté lui importait peu, qu’il ait tout foutu en l’air, c’était son problème. Mais au moins, Juliet avait eu l’occasion de passer à autre chose et de se reconstruire, et c’était sans doute le plus important.

Pourtant, il n’arrivait pas à repartir. C’était bien pour ce risque possible qu’il n’était jamais revenu avant. Se retrouver à nouveau à Los Angeles lui démontrait bien que sa vie à Londres était bien plus sombre que ce qu’il pouvait bien admettre, au final. Et même en ces circonstances, même sans son père, même avec sa sœur qui avait l’air de le détester, il n’y avait pas d’autre endroit dans le monde où il se sentait chez lui. Et évidemment, il n’en voulait pas à Lola d’être aussi froide, aussi distante avec lui. Même s’il aurait aimé que les choses se passent autrement, bien évidemment. Mais il la connaissait, sans doute mieux que n’importe qui. Il n’avait qu’à la regarder dans les yeux pour savoir ce qu’elle pensait. Et là, elle lui en voulait. Des années de reproches qu’elle retenait de lui foutre dans la tronche.

« J’ai plus les clés de la boite aux lettres, je sais pas où maman a mis les siennes. »

Il n’avait pas relevé le reste, autant parce que ça lui faisait mal que parce que ce ne serait qu’attisé le feu qui était déjà présent. Et pourtant… Raph ne se voyait pas simplement la laisser monter et en rester là. S’il voulait que les choses s’arrangent, il ne pouvait pas se contenter d’échanger des banalités avec sa sœur jusqu’à la fin des temps. Ou du moins, jusqu’à ce que plus rien ne les relie vraiment.

« Et si t’en profitais pour me balancer une fois pour toutes ce que t’as à me dire, au lieu de me fuir comme la peste. »

Ce n’était peut-être pas vraiment la meilleure chose à dire, mais il savait que ça la ferait réagir. Et c’était ce qu’il attendait, justement, qu’elle réagisse. Qu’elle lui dise quelque chose, qu’elle lui hurle dessus même si elle le voulait. Au moins elle ne la fuirait plus. Et c’était sans doute l’unique occasion pour lui de lui donner les réelles explications de son départ.

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L'atmosphère de la maison était pesante. Une aura glaciale et désagréable avait pris possession des lieux en l'espace de quelques instants. Je sentais le malaise s'installer, bien que de mon côté la colère prenait peu à peu le dessus sur tout le reste. Le feu montait progressivement, et la cocotte-minute que j'étais menaçait de déborder à tout instant.

« J’ai plus les clés de la boite aux lettres, je sais pas où maman a mis les siennes. »

Evidemment. Evidemment qu'il n'avait plus les clés de la boîte aux lettres. Ou peut-être s'étaient-elles volatilisées au fin fond de ses affaires, dans une valise ou une boîte, perdues au milieu de nul part. Je préférais ne pas relever sa réponse, il n'y avait de toute façon rien de plus à ajouter au pathétisme de la situation.

Je passais mes doigts dans mes cheveux, remettant en place une mèche derrière mon oreille, quand je me figea d'un coup au milieu des escaliers.

« Et si t’en profitais pour me balancer une fois pour toutes ce que t’as à me dire, au lieu de me fuir comme la peste. »

Ses paroles raisonnaient, revenaient et martelaient ma tête. Mes yeux se fermèrent l'espace d'un instant, sentant le contrôle de la situation m'échapper. Je ne supportais pas l'idée qu'il me connaisse si bien au point de retourner la situation contre moi, et me pousser dans mes retranchements.

« - Va crever, Raph. »

C'était la seule réponse qui m'avait été capable de donner, tant tout ce que j'aurais eu à dire se bousculait en affreux méli-mélo, me rendant incapable de savoir par où commencer et comment exprimer mes émotions. Handicapée de la communication, que j'étais.
C'était un peu le titre que tout le monde dans la famille s'accordait à me donner depuis que j'étais toute jeune. Incapable de verbaliser décemment mes ressentis. Cela m'avait d'ailleurs porté préjudice à plusieurs reprises, au cours de ces 28 dernières années. Et rien n'avait été en s'améliorant au fil du temps, depuis mes problèmes d'harcèlement scolaire.

Je reprenais alors l'ascension des escaliers, tentant d'alléger mes pas malgré ma colère pour ne pas réveiller ma mère. J'en profitais pour attraper Murphy dans mes bras, le chat de la famille. Puis, le câlinant, j'entrebâillais la porte de la chambre de ma mère. L'observant quelques instants, endormie, je ne pouvais décemment pas me résigner à la réveiller égoïstement pour espérer échapper pour de bon à mon frangin. Elle était épuisée, les traits tirés de son visage en attestaient. Pendant que je l'observais, je plongeais mon nez dans le pelage du matou, respirant son odeur si familière et apaisante. C'est quelque chose que j'avais toujours adoré faire, dès que j'étais au contact des chats. Drôle de manie, n'est-ce pas ?

Je finissais par déposer silencieusement le chat sur le lit, espérant qu'il lui apporte présence et réconfort, puis je ferma la porte derrière moi. C'était alors l'occasion de parcourir du regard les différentes photos accrochées au mur du couloir. Des souvenirs familiaux comme on en aurait plus jamais, sans doute...
Mon téléphone vibra au même moment. Un message d'Ulrick venait d'arriver.
“Où es-tu ?“ J'esquissais une moue en lisant le message, me rendant compte que j'avais en réalité nul part où je me sentais bien dans ma peau : j'étais constamment fliquée par mon compagnon à la maison, et les fantômes du passé revenaient faire surface dans la maison de mon enfance.

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On pouvait le dire, Raphael n’était pas très doué pour entamer une conversation. Ou alors, c’était juste parce qu’il avait toujours été direct avec Lola, et qu’il ne voyait pas vraiment l’intérêt de tourner autour du pot. Chose qu’ils faisaient pourtant depuis son retour à Los Angeles. En dehors du fait qu’elle l’évitait très clairement, le peu de fois où ils avaient eu l’occasion de se croiser, ils n’en avaient pas vraiment profité pour mettre les choses à plat. Et si ça le pesait de son côté, il savait que c’était également le cas du côté de sa sœur. Même s’il se doutait du pourquoi elle évitait à tout prix cette conversation. Elle voulait éviter d’exploser, surtout devant leur mère. Mais il n’était pas certain que cette forme d’abstinence soit la bonne solution.

Mais comme il aurait dû s’en douter également, elle préférait l’envoyer bouler plutôt que d’entamer cette conversation qui serait aussi douloureuse qu’utile, pourtant. Et il la laissait partir, pour l’instant. Il avait aussi, de son côté, besoin de digérer le fait que sa sœur préférerait le voir mort plutôt que dans les murs de cette maison. Autant dire qu’il n’avait plus vraiment l’esprit à continuer à trier des fleurs fanées, pour l’instant. Il s’était donc rendu dans la cuisine pour faire couler deux tasses de café. Ça au moins, ça n’avait pas changé de place depuis sa dernière visite. Il laissa encore quelques minutes à Lola avant de finalement monter à l’étage pour la rejoindre.

Il la retrouva au milieu du couloir, face aux photos accrochés au mur. Des souvenirs de leur enfance et de leur adolescence, qui lui paraissaient tellement loin maintenant. Et pourtant, il n’en avait oublié aucun. Ça avait été son fardeau, ces dernières années, ces souvenirs heureux, où il était encore insouciant des galères que la vie allait lui apporter. Il n’était plus le même, c’était certain. Mais n’avaient-ils pas tous changés, depuis cette époque ?

« J’ai fait du café. Si tu veux bien descendre pour qu’on discute. S’il te plait. »

Raph insistait, et peut être qu’il ne devrait pas, mais ça lui semblait important. S’ils voulaient que les choses s’arrangent, ils ne pouvaient pas tout laisser en suspend de cette façon. Et lui voulait que les choses s’arrangent, justement. Même s’il avait fui pendant toutes ces années, il en avait marre de le faire. Il était fatigué d’être toujours poursuivit par les fantômes de son passé, peu importait les kilomètres qu’il pouvait parcourir. Mais il lui laissait toujours le choix. Il était donc redescendu dans la cuisine, lui laissant l’occasion de le suivre si elle le voulait.

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Je parcourais du regard les cadres photos, ici et là, uniformément répartis sur le mur. Il y avait un portrait de famille, une photo de nos grands-parents paternels, des clichés de moments clés tels que certains anniversaires ou Noëls... Et même une photo de Murphy emballé dans du papier cadeau ! Je me souvenais de ce Noël là, nous avions 14 ans à l'époque avec Raphael. Emballer le chat qui jouait avec les rubans nous avait bien amusés, et avait fait rire nos parents.

Je me perdais dans mes pensées, des pensées positives qui me permettaient peu à peu de reprendre mes esprits, de redescendre en tension. Une voix basse vint me sortir de tout ça. Mon visage pivota, mes yeux se posèrent sur celui qui avait osé interrompre le cours de mes pensées.

« J’ai fait du café. Si tu veux bien descendre pour qu’on discute. S’il te plait. »

Raph était tenace. C'est une qualité - et un défaut, selon le point de vue - qu'il avait toujours eu. Et je l'admirais de paraître aussi calme dans un moment pareil. Il gardait une certaine maîtrise de lui-même, contrairement à moi qui était à deux doigts de passer pour une furie.

Je ne savais pas quoi penser de son invitation. J'étais tiraillée entre l'envie de l'envoyer chier une bonne fois pour toute, et d'un autre côté la curiosité s'invitait dans la partie. Qu'allait-il bien pouvoir m'inventer comme excuse pour être parti comme un voleur, sans même donner une explication à sa jumelle, et sans entretenir le contact fort qu'ils avaient bâtis lors de leurs premières années, durant cette dernière décennies ? Je ne savais même pas si j'étais prête à entendre ce qu'il avait à me dire.
Je me souviens encore de la crise de larmes de Juliet le jour où elle appris le départ de Raphael, sans que celui-ci ne se retourne et ne laisse un dernier regard à celle qui partageait son quotidien depuis quelques années. J'avais ramassée ma meilleure amie à la petite cuiller, et autant dire que je n'étais pas dans un meilleur état, ce jour-là. Nous nous étions serrées les coudes entre filles, bien qu'il avait été compliqué de traverser cette épreuve. Sans compter la suite qui avait été une véritable surprise... Un bout de chou qui avait pointé le bout de son nez sans que personne ne s'y attende. Juliet m'avait fait jurer de ne jamais rien dire à personne, et encore moins à Raphael, avec qui elle savait que je gardais encore des contacts occasionnels. J'étais tata, il était papa, et il n'en savait rien.

Mais pour l'heure, le temps des réconciliations n'était pas encore arrivé. L'heure était aux règlement de comptes. Tant et si bien que je me décidais à lui enfiler le pas, descendant les escaliers, et venant m'appuyer dans l'entrebaillement de la porte de la cuisine, les bras croisés. Silencieuse. Mon regard parlait très bien à ma place, je n'avais aucun doute là dessus.

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Raphael ne pouvait pas tellement dire s’il restait maître de lui-même en toutes circonstances. Il avait toujours eu plus de facilité que sa sœur à gérer ses émotions, c’était un fait. Enfin, en apparence, tout du moins. Il avait également, malheureusement, cette fâcheuse manie à garder tout au fond de lui jusqu’à arriver au point où il était prêt à exploser. Point qu’il n’était d’ailleurs pas très loin d’atteindre depuis qu’il était rentré. La distance l’avait aidée, d’une certaine manière, à fuir ses émotions et à les garder enfouies plus qu’il ne l’aurait dû. Ça lui avait paru être la bonne solution, sur le moment, mais ce déni n’avait fait que creuser ce fossé. Au fond de son cœur, avec ses proches. Il ne s’était jamais vraiment sentit bien depuis qu’il était parti, même s’il avait tout fait pour montrer le contraire. Sa douleur, son problème. Sauf que les choses n’étaient pas aussi simples.

Au moins elle l’avait suivi, c’était déjà ça. Est-ce que Lola était encline à la discussion, il n’en savait rien. Mais elle était au moins prête à l’écouter. Il attrapa alors l’une des tasses qu’il avait posé sur la table avant de la lui tendre et de prendre la sienne. Il était resté debout. Impossible pour lui de s’asseoir pour avoir une discussion pareille. Raph savait qu’il s’apprêtait à se prendre plusieurs années de reproches en pleine tronche, et aussi de confier le plus gros secret qu’il avait jamais eu. Un secret qui le rongeait depuis qu’il était parti et dont il n’arrivait clairement pas à se débarrasser, peu importait la distance qu’il parcourrait. C’était comme s’il ne pouvait pas y échapper.

« Écoute… Je sais que j’ai merdé. J’aurais dû te dire pourquoi je partais, mais… Si je te l’avais dit, tu m’aurais empêché de le faire. »

Il n’était certainement pas clair dans ce qu’il disait, mais pour être totalement honnête, il ne savait pas vraiment par où commencer. Tout s’embrouillait dans sa tête, une fois de plus. C’était comme se retrouver à nouveau à ses dix-huit ans, face à ce choix impossible qu’il avait eu à prendre. La peur avait guidé son choix, c’était certain. L’amour qu’il portait à Juliet également. Il avait toujours voulu la voir heureuse, et il avait fini par se persuader que ce ne serait pas avec lui qu’elle y parviendrait. Pas dans ces circonstances, en tout cas. Lui… Et bien, il n’avait jamais réussi à tourner la page, et il était fort probable qu’il n’y parvienne jamais.

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Je l'observais attraper la tasse de café sur la table pour venir me la tendre. Mon regard fit quelques allers-retours entre la tasse et ses yeux, avant que je ne me décide à prendre ce café qu'il avait préparé quelques minutes auparavant. Je lâchais en même temps un soupir, déjà exaspérée par la situation avant même qu'il n'ait encore ouvert la bouche.

Je restais dans l'encadrement de la porte, et Raphael restait également debout, de toute évidence mal à l'aise. Il ne savait pas comment aborder le sujet, ni par où commencer. Je le connaissais par cœur.

« Écoute… Je sais que j’ai merdé. J’aurais dû te dire pourquoi je partais, mais… Si je te l’avais dit, tu m’aurais empêché de le faire. »

*Ça c'est rien de le dire.* avais-je penser en entendant les premiers mots traverser ses lèvres. Un nouveau silence s'installait dans la pièce, et je me mordais l'intérieur de la joue, sélectionnant avec soin les premières paroles qui viendraient se heurter à son discours.

« - Ça fait 10 ans, Raph. Mon regard pénétrant le sien ponctua ma phrase, et je marquais un temps mort à la suite de ces quelques mots, afin qu'il les note bien. Qu'il en prenne conscience. Qu'il sache qu'il ne pouvait pas espérer se repointer comme une fleur après tout ce qui s'était passé, et que tout serait de nouveau comme avant. T'avais pas le droit de nous abandonner. Pas comme ça, pas sans explication. Ça a détruit notre famille. »

Etait-il seulement capable de mesurer tout ça ? Lui qui, finalement, nous avait infligé cela en nous imposant sa décision. il n'avait pas été de l'autre côté pour voir les dégâts, durant cette dernière décennie...

« - T'es qu'un sale con. » ajoutais-je, sentant alors la colère doucement pointer le bout de son nez, à nouveau.

Je posais la tasse de café sur le bord du living, j'avais pas la tête à boire quoique ce soit. Je passais mes mains derrière ma tête, me retrouvant avec les bras en équerre, les coudes au niveau du visage. Les lèvres pincées, mon corps pivotait légèrement de droite à gauche, le regard dans le vide. J'étais pas certaine que cette discussion serait productive. J'étais même pas certaine que le retour de Raphael en Californie était une bonne chose.

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Raphael ne s’attendait pas à ce qu’elle comprenne dès le début. En réalité, il ne s’attendait pas forcément à ce qu’elle comprenne tout court. Il avait affronté ça tout seul, il continuait encore à le faire aujourd’hui, et ce serait sans aucun doute un choix qui le hanterait toute sa vie, quoiqu’il fasse. Vivre avec les fantômes de son passé, ce n’était pas seulement une métaphore, pour lui. Il les trainait partout où il allait, peu importait l’endroit, peu importait l’instant. Il n’était jamais en paix, ce qui était sans doute un signe que le choix qu’il avait pris n'était pas le bon. Mais il était trop tard, à présent, pour revenir en arrière. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était avoir cette conversation avec sa sœur, en espérant qu’elle comprenne pourquoi il avait agi ainsi. Pourquoi il s’était coupé de tout le monde, pour éviter de prendre le risque de revenir.

« Je sais. »

Lola n’avait pas besoin de lui dire tout ça, en réalité. Parce qu’il le savait déjà. Même si sa mère ne lui en avait jamais vraiment voulu – elle était sans doute trop douce pour ça – il avait de nombreuses fois entendu cette peine dans sa voix quand il l’avait eu au téléphone. Même si son père ne lui avait jamais fait de reproches, le ton dur qu’il pouvait avoir à son égard en disait beaucoup. Et le silence radio de sa sœur, à force, en disait long aussi. Il avait juste espéré qu’ils passent à autre chose, au fil des années. Mais ça n’avait jamais vraiment été le cas, quand on regardait bien.

« J’avais pas le choix, c’est… »

Les mots restaient bloqués dans sa gorge quelques secondes. Des mots qu’il n’avait encore jamais prononcés, parce qu’il n’en avait parlé à personne. Des mots tellement durs à dire qu’il s’en retrouvait à avoir les larmes aux yeux. Et Raph avait d’ailleurs détourné le regard. Jamais il ne s’était senti si vulnérable depuis son départ. Faire tomber cette carapace qu’il prenait tellement soin de consolider depuis des années n’était pas aussi simple, au final. Mais il fallait qu’il le dise. Il ne pouvait plus se trimbaler ce secret tout seul, sinon il allait finir par l’achever.

« Son père m’a lancé un ultimatum. Soit je partais sans rien lui dire, soit il lui coupait les vivres et tous ses rêves partaient en fumé. »

Il n’avait pas besoin de préciser de qui il parlait. Vu l’émotion qui transparaissait dans sa voix, elle savait. Elle savait que c’était Juliet. Ça avait toujours été elle, de toute manière. Même après tout ce temps, il l’aimait toujours. Même après ces années de souffrance, il était toujours prêt à tout pour la protéger. Et il savait qu’il ne pourrait jamais aimer comme ça à nouveau.

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J'inspirais profondément : la situation était véritablement pesante, et j'avais beaucoup de mal à gérer ça. C'était comme prendre conscience qu'avec son éloignement, il n'était plus spécialement mon jumeau, mais il était devenu presque un inconnu avec qui j'avais perdu toute intimité et proximité, et que je traitais donc désormais comme tel, presque malgré moi.

« Je sais. »

J'étais pourtant pas certaine qu'il mesurait tout ce que cela avait pu impliquer. Il ne pouvait pas savoir en réalité, il n'avait pas été là.

« - Non, tu ne sais rien Raph. Tu ne sais pas le nombre de fois où j'ai dû prendre Maman dans mes bras parce qu'elle était en larme. Elle faisait en sorte de ne rien montrer le peu de fois où elle t'avait au téléphone, mais tu ne sais pas en réalité le nombre de fois où il a fallu que je la relève. Et Juliet. Le nombre de nuits blanches à passer à parler de toi. À l'aider à passer à autre chose et en même temps avoir honte du comportement de mon propre frère. » Je marquais un temps d'arrêt. En réalité, j'avais une liste de faits longue comme le bras, et je n'avais fait que synthétiser. « - Alors non, tu ne sais pas... » avais-je rajouté d'un ton plus bas, la gorge serrée.

« J’avais pas le choix, c’est… » Je décidais de ne pas relever, esquissant un vague hochement de tête de droite à gauche, et laissant mon frère continuer de s'enfoncer. Il cherchait ses mots et je décidais d'attendre de voir ce qu'il allait bien pouvoir avancer comme excuse.

Alors que doucement la tension devenait palpable, les larmes me montaient, noyant mon regard peu à peu alors qu'au même moment j'entendais enfin ce que tout le monde avait toujours voulu savoir : la raison de son départ.

« Son père m’a lancé un ultimatum. Soit je partais sans rien lui dire, soit il lui coupait les vivres et tous ses rêves partaient en fumé. »

Les émotions me submergèrent pour de bon, et je m'avançais d'un pas décidé vers lui, le visage crispé entre la colère et la tristesse, et je me mettais à hurler tout en sanglotant en même temps :

« - Et à quel moment tu as oublié que tu avais une famille présente pour toi ?! Qu'on aurait pu trouver une solution TOUS ensemble ! » Mes poings s'abattirent à plusieurs reprises contre ses pectoraux tandis que j'étais secouée par des spasmes de sanglots. « - T'es complice !! Il a voulu nous priver égoïstement d'un frère et d'un fils pour en éloigner sa fille, et tu n'as rien fait pour éviter ça ! T'ES COMPLICE ! » lui hurlais-je dessus. J'avais toujours su que le père de Juliet était spécial. Il avait toujours tout fait pour contrôler la vie de sa fille, jusqu'à ses fréquentations. Et en toute honnêteté, je savais qu'il ne voyait pas notre famille d'un bon œil, bien que je n'avais jamais vraiment eu de frictions avec lui. Mais c'était désormais clairement officiel, il avait été capable de détruire une famille par pur égoïsme.

Alors que je tentais de reprendre mon souffle au milieu de ce cauchemar, cette crise de nerfs me coupa peu à peu les jambes, et je fini par me laisser glisser au sol, le visage enfoui dans mes mains à pleurer sans plus savoir m'arrêter.