La nuit peut sembler interminable en ce moment, mais un jour le matin viendra

Samedi après-midi, le moment le plus chargé au refuge en termes de fréquentation mais aussi d’adoptions. Des dizaines et des dizaines de familles arpentaient les allées à la recherche de leur futur compagnon de vie, scrutant l’occupant de chaque box avec attention. Si certains chiens aboyaient comme des fous furieux devant les grilles, ne donnant nullement envie d’aller à leur rencontre, d’autres savaient y faire et posaient sur les visiteurs un regard plein de tristesse, mais malgré tout teinté d’espoir. Le même manège se répétait avec les chats, à ceci près que ces derniers ne se montraient pas hostiles, mais préféraient se terrer au fond de leur cage, souvent apeurés. Chacun avait son histoire, son vécu, et Orianna était toujours particulièrement touchée lorsque l’un de ses petits protégés quittait le refuge. Ces derniers temps, elle avait même tendance à essuyer discrètement quelques larmes, elle qui détestait pourtant pleurer en public. Cependant, ses hormones lui jouaient régulièrement des tours et elle ne pouvait malheureusement rien y faire. Et justement, Neytiri, une jeune malinoise de dix mois dont la jeune femme s’était beaucoup occupée depuis quelques mois, était sur le point de partir pour sa nouvelle vie. S’agenouillant devant elle, Orianna se laissa lécher vigoureusement les mains, tandis que la chienne remuait la queue. « Tu seras sage, d’accord ? Pas de bêtises. Oui, tu es bonne fille. » Une dernière caresse, un dernier regard, et la demoiselle laissa l’animal partir avec ses nouveaux maîtres. Se remettant debout tant bien que mal, elle décida qu’il était grand temps pour elle de s’accorder une pause, après ce moment chargé en émotions. Ce serait l’occasion pour elle de tenter de joindre sa sœur. Elle lui avait déjà envoyé un SMS dans la matinée, avant de commencer sa journée de boulot, mais n’avait pas obtenu de réponse. Orianna s’inquiétait beaucoup pour Blake en ce moment, puisque cette dernière se montrait de plus en plus distante et renfermée. La jeune femme ne s’était pas remise de la mort subite de son fiancé, survenue il y a quelques mois, et cherchait depuis à éviter le plus possible le contact avec ses proches. Si Orianna tentait d’être un maximum présente, elle ne pouvait malheureusement pas passer tout son temps avec Blake. Alors elle essayait de l’aider du mieux qu’elle pouvait lorsqu’elle parvenait à la voir. Elle avait d’ailleurs espéré pouvoir passer chez elle dans la soirée, mais cela semblait mal engagé. Puisque son message était resté sans réponse, elle décida cette fois-ci de l’appeler, sans plus de succès. Au bout de quelques longues sonneries, elle tomba finalement sur la messagerie. « Blake, c’est ta petite sœur. J’aimerais passer ce soir après le travail, si tu es d’accord. Rappelle-moi. » Elle raccrocha après avoir laissé son message, puis retourna dans la cohue du refuge.

Plusieurs heures plus tard, il était enfin l’heure de rentrer. Blake n’avait toujours pas donné de signe de vie, ce qui motiva d’autant plus Orianna à se rendre chez elle pour vérifier qu’elle allait bien. Avant d’aller là-bas, elle fit néanmoins une courte escale chez elle pour se changer et ne pas arriver chez sa sœur avec des vêtements sales et remplis de poils. Une fois prête, elle reprit sa voiture pour gagner Malibu. L’appartement de Blake se trouvait à environ une vingtaine de minutes de Santa Monica et la blondinette ne mit donc pas beaucoup de temps pour y aller. Une fois garée, elle se dirigea vers l’entrée du bâtiment où vivait Blake. Heureusement pour elle, elle connaissait le code de la porte, et n’eut donc aucun problème à pénétrer à l’intérieur. Quelques minutes après, elle toquait chez sa sœur, mais seul le silence lui répondit. Elle patienta un petit peu, puis frappa une nouvelle fois. Toujours rien. « Blake ? C’est moi. S’il te plaît, ouvre. J’aimerais qu’on discute toutes les deux. » Il y avait une faible probabilité pour que la jeune femme ne soit pas chez elle, mais Orianna en doutait fortement puisque, ces derniers temps, elle avait plus tendance à pleurer sous sa couette qu’à faire la fête à l’extérieur. Elle espérait néanmoins que sa sœur accepterait de se montrer, sinon elle aurait fait tout le chemin jusqu’ici pour rien.

(c) Miss Pie

Blake ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était rendue devant les portes de l’hôpital et qu’elle avait fini par rebrousser chemin. Arrivée en face, elle n’avait qu’une envie : partir vite, tout simplement fuir. Pourtant, elle venait avec l’objectif d’avancer. Elle voulait reprendre sa place aux urgences. Reprendre une vie plus ou moins normale. Faire quelque chose d'utile et arrêter de pleurer toute la journée une fois la phase de déni achevé. Cette dernière n’avait pas duré bien longtemps. On lui avait dit de prendre des congés et de prendre le temps qu’il lui fallait avant de revenir au travail. La demoiselle Hartfield voulait faire ce qu’elle avait toujours tenté de faire ; sauver des vies. Contrairement à ce qu’on a fait à son fiancé. Elle savait que c'était ridicule, mais c'était plus fort qu'elle. Elle en voulait à ses collègues d'avoir échoué.

Dès que Blake voyait le nom de l’hôpital, les portes de l’établissement, qu’elle entendait le son des sirènes, qu’elle voyait des ambulances, des flashs lui revenaient en mémoire. Elle revivait le pire jour de sa vie. Pourtant, elle pensait que le jour de l’explosion en Afghanistan était le plus horrible jour de sa vie. Qu’il ne pourrait rien lui arriver de plus terrible. Elle se trompait. La vie n’a pas tardé à lui prouver le contraire. Le souvenir qui l’a hanté était l’arrivée d’Asher aux urgences. Elle revoyait son corps immobile sur le brancard. Elle revoyait ses collègues la maintenir à l’égard et l’agitation dans la salle de soins. Elle se souvenait du visage de Wyatt, sa mine désolée, une tache de sang sur sa blouse lui annonçant le décès de l’homme qu’elle aimait. Comme si un désolé et des condoléances pouvaient apaiser sa peine. À l’annonce de sa mort, le monde entier de Blake s’était effondré. Elle était morte avec lui. Elle n’avait plus goût à rien. Elle restait enfermée chez elle entre la colère et la tristesse. Elle ne saurait dire quel sentiment primer, l'un ou l’autre, tellement ils étaient étroitement liés.

Blake était de retour chez elle. Elle avait décidé de se dérouler en mettant à profit tout ce qu’elle avait appris toutes ces années en pratiquant les arts martiaux. Ça lui aurait fait plus de bien de frapper réellement sur quelqu’un. Ce n’était pas possible pour la sécurité de son adversaire en sachant toute la rage qu’elle cumulait au fond d’elle. C’est sur un sac de boxe que la demoiselle Hartfield déversait sa colère. Elle avait ses écouteurs dans les oreilles. Elle ne savait pas depuis combien de temps, elle faisait ça, mais elle était couverte de sueur. Elle crut entendre frapper une première fois, mais elle n’était pas sûre. Elle retirait ses écouteurs au cas où on frapperait une seconde fois. Même s’il y avait peu de chances qu’elle ouvre la porte. On frappait une seconde fois et la voix d’Orianna s’élevait derrière la porte. Que faisait-elle ici ? Blake hésitait un moment avant de finalement ouvrir la porte. Elle n’était vraiment pas en état d’accueillir quelqu’un. Son appartement n’était pas en ordre, voire sale. Elle ne parlait même pas d’elle qui avait passé des heures à frapper dans un sac. « Orianna ? Que fais-tu là ? On devait se voir ? » Il était fort probablement qu’elles s’étaient données rendez-vous et que Blake est oublié. Ce n’était pas comme si elle était attentive ces derniers temps. Elle s’apparentait plus à une coquille vide ou une boule de nerfs. Elle espérait simplement que sa petite sœur n’en ferait pas les frais.

La nuit peut sembler interminable en ce moment, mais un jour le matin viendra

Après plusieurs longues minutes passées à attendre dans le couloir, Orianna commença à désespérer. Peut-être que sa sœur n’était pas là, finalement ? Elle s’apprêtait à tourner les talons et à rentrer chez elle, relativement déçue, lorsqu’elle vit enfin la porte de l’appartement s’ouvrir sur une Blake essoufflée et couverte de sueur. Ah, visiblement elle n’avait pas passé sa journée à pleurer dans son lit, contrairement à ce que la jeune femme aurait pensé, ce qui était déjà une bonne chose en soi. Néanmoins, elle ne savait pas si l’option sport était vraiment mieux puisque, connaissant Blake, elle avait sûrement passé la moitié de sa journée à faire ça, comme une machine rouillée qui aurait répété les mêmes gestes encore et encore, inlassablement. Bien que ce fût probablement un très bon moyen de se changer les idées, Orianna était persuadée qu’il existait d’autres solutions, comme ouvrir la porte aux membres de sa famille et profiter de l’aide qu’ils apportaient, PAR EXEMPLE. « Orianna ? Que fais-tu là ? On devait se voir ? » Ne consultait-elle donc jamais son téléphone ? Orianna leva les yeux au ciel en poussant un soupir. « J’ai passé la journée à tenter de te joindre. Non on ne devait pas se voir, mais je m’inquiète pour toi. », dit-elle en pénétrant dans l’appartement et en découvrant un joyeux bordel. Visiblement, Blake n’avait pas pris la peine de ranger ou de faire un semblant de ménage depuis déjà un petit moment et une odeur de renfermé, mêlée de sueur et d’un quelconque aliment non identifié, flottait dans l’air. Au fur et à mesure que sa grossesse avançait, la jeune femme était de plus en plus sensible aux odeurs et celle-ci lui fit plisser le nez de dégoût, mais elle tenta de faire abstraction. « Ces derniers temps tu es devenue comme un fantôme Blake. On ne te voit plus, tu ne donnes plus de signe de vie… Je sais que tu traverses une période difficile mais je ne demande qu’à t’aider. » Bien évidemment, Orianna ne pouvait pas savoir ce que cela faisait de perdre son fiancé, mais elle pouvait imaginer la douleur que ressentait sa sœur et souhaitait l’épauler du mieux qu’elle pouvait. Après tout, elle lui devait bien ça, Blake ayant toujours été là pour elle, notamment lorsqu’elle avait vécu sa première rupture difficile, après avoir été trompée, il y a quelques années de cela. Si aujourd’hui la situation n’avait rien de comparable, la cadette se devait néanmoins d’être là pour son aînée et n’avait nullement l’intention de la laisser tomber, même si celle-ci la rembarrait. C’était d’ailleurs ce que craignait Orianna. Elle connaissait le caractère de feu de Blake, s’y étant déjà heurté plusieurs fois, mais cela ne lui faisait pas peur, elle était prête à se battre et à lui tenir tête pour l’aider à aller mieux.

(c) Miss Pie

Blake avait passé une grande partie de son après-midi à se battre contre un ennemi imaginaire et invisible. Parfois matérialisé par un sac de frappe. Si elle devait donner un nom à son ennemi, ce serait probablement la mort. Un ennemi sans le moins point faible qu’on ne pourrait jamais battre. En dépit de cela, frapper, procurait un certain apaisement chez la jeune femme. Ça lui permettait de se défouler et d’évacuer une partie de sa colère. Malheureusement, elle en avait encore tellement en elle. Une tristesse et une colère qui la consumait à petit feu et qui l’éloignait de son entourage. Elle s’isolait sans réellement s’en rendre compte. Si Orianna n’avait pas frappé à la porte, Blake n’aurait pas cessé de s’acharner contre ce pauvre sac. Ça aurait pu encore durer encore des heures. Cela faisait déjà un bon moment que la demoiselle Hartfield avait perdu la notion du temps. Elle ne saurait même pas dire l’heure qu’il était maintenant. Sûrement, tard, dans la journée, puisque sa sœur a dû venir après une journée de travail.

D’ailleurs, elle était surprise de voir sa sœur. Elle se demandait si elle n’avait pas par hasard oublié un rendez-vous. Ce n’était pas le cas. Orianna était venue à l’improviste. Comme la plupart des gens, elle s’inquiétait pour elle. « J’ai éteint mon téléphone, j’en ai assez des messages de condoléances, de soutien et qui demande comment je vais. » Elle n’avait que des appels et des messages à ce sujet. C’était devenu trop dur d’entendre et de lire tout ça. Ça ne l’aide pas du tout. Elle ne se voyait pas non plus dire la vérité aux gens. Elle serait obligée de dire qu’elle tenait le coup, de dire que ça va alors que ce n’était pas du tout le cas. Elle dirait seulement cela pour rassurer sans le penser et surtout pour qu’on la laisse tranquille. « Si j’avais su que tu passais, j’aurais un peu rangé et je ne serais pas dans cet état. » Blake se dirigeait vers la fenêtre du salon qu’elle ouvrait. Un peu d’aération ne ferait pas de mal. Elle avait fait de même dans la pièce qui lui servait de salle de sport. Orianna commençait à comparer sa sœur à un fantôme. Blake l’a laissé finir, mais elle ne lui répondait pas. Elle lui demandait simplement : « Tu peux le voir, je suis bien vivante. Mais tu permets que je prenne une douche rapide avant qu’on ne discute des moyens de m’aider qui n’existe pas. En attendant, fait comme chez toi. » Elle n’avait même pas attendu sa réponse pour se diriger vers la salle de bain.

Blake doutait fortement que l’on puisse l’aider d’une manière ou d’une autre. La seule chose qui pouvait réellement l’aider, c’était qu’on lui rende Asher. Mais malheureusement, c’était quelque chose d’impossible. Il était le seul à avoir su apaiser ses peurs et ses angoisses. Toutes celles-ci étaient revenues et s’étaient même décuplées depuis son départ. L’ex-militaire à présent ne ressentait que des émotions négatives et déplaisantes. Elle avait perdu la notion de sourire ou de bonheur. C’était presque comme si elle n’en avait plus aucun souvenir. D’un autre côté, elle doutait du fait d’avoir le droit de ressentir ces sentiments quand il y avait tant de pertes autour d’elle. D’abord son unité, ensuite son fiancé. Dès qu’elle avait l’impression d’être plus apaisée, un peu heureuse, un drame la toucher de plein fouet.

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Depuis qu’elles étaient petites, Blake avait toujours été le roc de la famille. La fille forte et déteminée, celle qui surmontait tout et qui ne s’effondrait jamais. Pourtant, depuis la mort d’Asher, cette partie de sa personnalité s’était envolée. L’aînée Hartfield n’était plus que l’ombre d’elle-même et n’avait plus goût à rien. C’est pourquoi Orianna avait décidé que c’était à son tour d’endosser le rôle de roc, même si elle n’était pas très douée pour cela. En effet, si elle n’aimait pas vraimentt se montrer émotive en public, elle avait toujours été très sensible et était particulièrement touchée par la situation de sa soeur. L’aider était devenu une priorité, même si la blondinette n’avait absolument aucune idée de comment s’y prendre, à part en étant là pour elle. Seulement voilà, difficile d’être là pour quelqu’un qui ne souhaitait pas spécialement être aidé. C’était clairement le message qu’envoyait Blake en disant qu’elle avait éteint son portable, lassée de tous les messages de condoléances qu’elle recevait à longueur de journée. D’un côté c’était compréhensible, mais de l’autre, cela menait à ce type de situation où Orianna débarquait sans que sa soeur n’en soit informée. Celle-ci commença d’ailleurs à aérer les différentes pièces de l’appartement en lui indiquant qu’elle et son logement auraient été dans un meilleur état si elle avait su qu’elle viendrait. « Tu l’aurais su si tu avais lu mes messages… » marmonna la jeune femme, trop bas pour que Blake puisse l’entendre. Une fois toutes les fenêtres ouvertes, l’ancienne militaire se dirigea vers la salle de bain et, sur un ton relativement froid et cassant, lui fit part de son intention de prendre une douche avant de discuter des moyens de l’aider qui, selon elle, n’existaient pas. Orianna n’eut pas le temps de répondre qu’elle avait déjà disparu. « Il existe toujours un moyen ! » cria-t-elle sans vraiment savoir si sa soeur l’avait entendu. Avec son caractère bien trempé, il n’était parfois pas facile de discuter avec  Blake mais la laisser se renfermer sur elle-même n’était clairement pas la solution. Dans tous les cas, Orianna ne pourrait rien faire de plus à l'instant T. Poussant un profond soupir, elle ôta ses chaussures puis prit la direction de la cuisine.

En farfouillant dans les placards, elle trouva de quoi se faire un chocolat chaud. Elle n’avait jamais était très adepte des boissons dites « d’adulte », à savoir le thé ou le café mais, dans tous les cas, il n’était pas très indiqué de consommer de la caféine dans son état. De ce fait, le chocolat ferait très bien l’affaire. Il ne faisait pas particulièrement froid, mais une bonne boisson chaude faisait toujours du bien à l’âme. Une fois son breuvage prêt, elle alla s’installer sur le canapé, non sans avoir au préalable poussé quelques affaires pour se faire une place. Tout en sirotant son chocolat, elle tendit l’oreille. Elle entendait toujours l’eau couler, signe que Blake était encore sous la douche. Il était d’ailleurs fort probable que celle-ci y reste le plus longtemps possible pour repousser le moment de la discussion, mais Orianna était prête à attendre et n’avait pas l’intention de partir tout de suite. Pas avant d’avoir parlé à sa soeur en tout cas. Leurs parents avaient déjà échoué dans leur tentative de communication avec elle, il n’était donc pas question que la cadette échoue à son tour, même si elle savait qu’elle allait très certainement se heurter à un mur impénétrable.

(c) Miss Pie

La moindre des choses après une telle après-midi de sport et la visite de sa sœur, c'était que Blake prenne au moins une douche. Elle se rendait dans la salle de bain sans attendre la réponse d’Orianna. Ce qui ne l’avait pas empêché de lui répondre en haussant la voix. L’ex-militaire ne relevait pas. Elles auraient toute la soirée pour débattre sur le fait qu’il y existait ou pas un moyen d'arranger les choses. L’aînée des Hartfield pensait qu’elle ne pouvait plus bénéficier de chance. Elle avait le sentiment d’avoir déjà épuisé son quota. La roue avait fini par tourner. Son tour était passé. Elle avait évité la mort après l’explosion, elle avait évité la paralysie par miracle et elle avait eu le bonheur de rencontrer Asher. Comme si la vie avait estimé qu’elle avait eu trop de chance, elle lui avait retiré ce dernier. C’était difficile pour Blake de l’accepter. Malheureusement, elle devait faire avec, apprendre à vivre sans lui, même si elle n'en avait pas envie. Elle n'avait rien touché de ses affaires. Son bureau était comme il l'avait laissé, ses vêtements étaient toujours sans la part du dressing. Son fauteuil, qu'elle avait toujours détesté, était devenu son meuble préféré. Il était déplacé comme il l'avait laissé. Ça donnait à Blake le sentiment qu'il était toujours là, mais elle se souvenait rapidement de la réalité.

Quand Blake avait l’esprit occupé, ça allait, mais dès que son esprit se vidait, c’est la tristesse et le chagrin qui reprenaient le dessus. Il ne fallut pas longtemps pour la jeune femme sous la douche d’éclater en sanglots en silence. Elle s'était laissé glisser sur la paroi de la douche avant de s'asseoir au sol. Comme avait-elle encore la force de pleurer avec toutes les larmes qu'elle avait déjà versées ces dernières semaines ? Elle ne voulait pas qu’Orianna l’entende et qu'elle s'inquiète davantage pour elle. Une fois débarrassé de toute cette sueur et que ses larmes avaient séché, Blake sortait de la douche. Elle s’habillait le plus simplement possible, avec un simple jean et un t-shirt. Avoir du style était bien la dernière de ses préoccupations ces derniers temps. Déjà, qu'elle ne s'était jamais vraiment intéressée à la mode, maintenant, c'était pire. En réalité, désormais, plus rien n'avait réellement d'importance pour elle. Elle était déconnectée de tout, même son téléphone était éteint. Ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Elle avait cependant pris la peine de sécher rapidement ses cheveux au sèche-cheveux. Elle les attache en un chignon avant de rejoindre Orianna dans le salon. Elle s’installait près de sa sœur sur le canapé. Blake lui posait la question, qu’elle aurait dû lui poser quand elle est arrivée. « Comment tu vas toi ? Et le bébé ? » Il était hors de question pour Blake qu'on parle seulement d'elle.

La nuit peut sembler interminable en ce moment, mais un jour le matin viendra

Assise sur le canapé, sa tasse de chocolat chaud dans les mains, Orianna attendait patiemment le retour de Blake. Le silence qui régnait dans la pièce n’était ponctué que par le bruit étouffé de l’eau qui coulait, signe que sa sœur était encore sous la douche. Quelques minutes s’écoulèrent avant que plus aucun son ne provienne de la salle de bain, puis le sèche-cheveux se fit entendre. La blondinette supposa que Blake serait bientôt de retour et, effectivement, peu de temps après, l’ex-militaire refit son apparition dans le salon. En la voyant arriver, Orianna releva la tête et la dévisagea d’un bref coup d’œil. Les vêtements qu’elle portait reflétaient bien l’état émotionnel et psychologique dans lequel elle se trouvait. Déjà en temps normal, sa sœur ne faisait que très peu d’efforts pour s’habiller correctement, mais là c’était pire que tout. Néanmoins, la future maman ne fit aucun commentaire et laissa Blake venir s’installer près d’elle sur le canapé.

Si Orianna avait espéré pouvoir reprendre la discussion là où elles l’avaient laissé avant que sa sœur prenne la fuite, il n’en fut rien. Cette dernière fut plus rapide, lui demandant comment ils allaient, le bébé et elle. Bien qu’agacée par ce changement de sujet, la jeune femme n’en montra rien et accepta de parler d’elle pour le moment. « Je vais plutôt bien, le bébé aussi. Il grandit bien, comme tu peux le constater. », dit-elle en faisant allusion à son ventre rond. Terminant son chocolat chaud, elle posa sa tasse vide sur la table basse, puis se réinstalla confortablement dans le canapé. « Mon médecin n’a détecté aucune anomalie à la dernière échographie, il a deux bras, deux jambes, dix doigts, alors j’imagine que c’est une bonne nouvelle. Ah, et il est très énergique. », indiqua-t-elle en prenant la main de sa sœur pour la poser sur son ventre, afin qu’elle puisse sentir le bébé bouger. En faisant ça, elle espérait seulement ne pas être allée trop loin. Blake étant très fragile en ce moment, cette simple action pouvait être à double tranchant. Elle pouvait tout aussi bien lui redonner du baume au cœur, ou bien lui rappeler tout ce qu’elle n’aurait jamais avec Asher et ainsi la faire s’effondrer en l’espace de quelques secondes. Cette sensation de devoir prendre des pincettes avec elle était toujours présente depuis la mort de son fiancé et, déjà il y a quelques mois, Orianna avait longtemps hésité avant de lui annoncer sa grossesse, ayant peur de sa réaction. Cependant, comme c’était quelque chose qu’elle n’aurait pas pu cacher indéfiniment, elle avait bien été obligée de le lui dire. Mais assez parlé d’elle, à l’origine elle n’était pas là pour ça. « Et toi, comment tu te sens ? » Bien évidemment, elle connaissait déjà la réponse, mais elle voulait amener sa sœur à lui parler, à extérioriser tout ce qu’elle ressentait et pas uniquement à ressasser dans son coin sans voir personne. Cette situation serrait le cœur d’Orianna, elle qui détestait voir son aînée souffrir. Cependant, elle n’avait dans l’immédiat aucune vraie solution pour lui venir en aide et s’inquiéter pour elle ne faisait que lui créer du stress supplémentaire qui n’était pas bon pour son bébé, tout en agaçant Blake qui ne souhaitait visiblement pas être aidée.

(c) Miss Pie

Douchée et habillée, Blake n’avait plus d’excuse pour ne pas retrouver sa sœur dans le salon. Elle savait exactement pourquoi Orianna était là ce soir et l’ex-militaire n’avait pas la moindre envie de parler d’elle. Encore moins de la peine qui était associée à son prénom depuis le décès d’Asher. Si Blake avait cessé d’aller dans des groupes de soutien, ce n’était pas pour qu’on vienne chez elle et qu’on la pousse à parler de ses émotions. Mais elle allait probablement être forcée de le faire pour donner à la jeune Hartfield ce qu’elle était venue chercher et surtout ne pas l’inquiéter davantage.

Blake repoussait l’inévitable en questionnant Orianna sur son état de santé et celui du bébé. Elle était réellement intéressée par ces informations. Sa famille s’agrandissait d’une manière différente de ce qu’elle avait imaginé. La grossesse d’Orianna était une véritable surprise, Blake ne s’y attendait pas du tout et sa sœur sûrement pas non plus. Cette situation convenait à sa sœur, donc l’ex-militaire était heureuse pour elle. D’après les dires d’Orianna tout semblait bien se dérouler. Pour illustrer ses dires, elle plaça la main de son aînée sur son ventre. Un petit coup ne tardait pas à se faire ressentir, ce qui eut le don de faire sourire Blake. Cela faisait des mois que ce n’était pas arrivé. Enfin, un sourire sincère et il n’était pas uniquement de façade pour sauver les apparences. « Tu sais si c’est une fille ou un garçon ou bien, tu gardes la surprise ? »

Orianna ne perdait pas de temps pour questionner à son tour sa sœur. Elle savait qu’un simple ça va ne passerait pas avec elle. Puis, elle la connaissait bien, il était visible sur son visage et par l’état de son appartement qu’elle n’était pas dans la plus grande de sa forme. « On fait aller, je n’ai pas le choix de toute façon. Je n'ai pas passé ma journée au lit ou sur le canapé à pleurer, c’est qu’on progresse. » Après, est-ce que passer ses nerfs et sa colère sur un sac de boxe pendant des heures était une réaction plus saine ? Si seulement la mort d’Asher était son seul problème. Son décès n’avait pas arrangé le stress post-traumatique qu’elle traînait depuis son retour d’Afghanistan. Ça lui remémore des souvenirs douloureux comme la perte de ses amis et collègues ainsi que leurs familles. Ce n’était pas une chose facile à porter pour la jeune femme. Quand sa famille racontait leur exploit et la fierté de faire partie de l’armée américaine, jamais personne ne parlait du revers de la médaille.